Imprimerie Nocturne / 8 avril 2025 / Marie Le Marchand
Créé au théâtre de Quimper en 2024, Macbeth par la compagnie de l’Unijambiste prenait place au Théâtre national de Bretagne dans la programmation du festival Mythos. Des choix audacieux à partir du texte de Shakespeare, porté par le duo Arm-Marina Tchewsky, lumineux en plein cœur des ténèbres.
Une pièce marquée par le sang, les remords et le pouvoir : la compagnie l’Unijambiste portée par David Gauchard s’attaque ici à l’un des monuments littéraires, Macbeth de William Shakespeare, avec des partis pris osés qui rendent les épées aux mots, et qui affrontent, ou accompagnent surtout la nuit.
C’est une mise en scène sobre qui porte le spectacle : un fond parfois rétro éclairé, quelques seaux servant à recueillir quelques flammes, de la fumée pour napper le plateau, des tenues noires, deux couronnes. Pas d’encombrement ni de surenchère. Les personnages de la pièce aussi sont comptés : une partie n’apparaîtra pas sur scène. Nul Fléance mais une voix off, nul trio de sorcières, en voix off également. La mise en scène coupe des passages, résumées par quelques phrases sur écran. Aucune scène de meurtre. David Gauchard laisse de côté, sciemment, une partie des éléments pour en accentuer d’autres. Et notamment le verbe, la poésie de Shakespeare, les scrupules (ou non) de l’être humain, les peurs et les rapports de dualité, intérieurs ou extérieurs.
Si aucun meurtre n’apparaît en plateau, que le sang n’y apparaît pas, il gratte le bras de Lady Macbeth. Plus le forfait est commis, plus la spirale du mensonge et du meurtre engloutit le couple, plus le sang envahit les bras du duo infernal. Plus la tragédie est évacuée car déjà inscrite dans l’histoire inéluctable, plus la force du texte surgit, parfois avec d’autres choix comme l’insertion d’un poème des Sonnets de Shakespeare, portés par Arm. Rappeur de son état, il en compose également ici la musique; un écrin électronique qui porte les scènes, et notamment un soliloque qui frôle le titre slamé, qu’il serait possible de réécouter hors de tout propos théâtral. Et une grande partie de la réussite de ces pas de côté dans la mise en scène réside dans ce « jeu », ou plutôt cette incarnation, avec la mélodie et le mot, avec le rythme et le texte, comme Marina Tchewsky jouant du tambour en début et fin de pièce. Une pièce face aux folies meurtrières, où la nuit « débat avec l’aube » et où le public parfois, frissonne. Et la nuit se prolonge, le théâtre semble lui lancer un défi. La troupe réussit celui de donner à voir la poésie au cœur des ténèbres, et de donner, aussi, l’envie de relire Shakespeare.
Ouest France / 3 avril 2025 / Benoît Le Breton
A Mythos, Macbeth surmonte la crise en musique.
La pièce de Shakespeare, avec Cornemuse, chant lyrique et le rappeur Arm dans le rôle de Macbeth, est l’invitée de Mythos, sur la scène du TNB. Elle est auto produite, faute de budget.
« Je n’ai aucune colère. J’assume. » Le metteur en scène, David Gauchard, installé à Rennes depuis douze ans, est ravi d’être à Mythos. Même si le festival programme sa version de Macbeth sans l’acheter, faute de disposer du budget suffisant. En clair, sa compagnie subventionnée, L’unijambiste, prend en charge la totalité des frais. « Jouer deux fois la pièce, avec une équipe de treize personnes dont six artistes et quatre techniciens, nous revient à 14 000 €, précise David Gauchard. Or, nous tablons sur une recette de 6 000 €. » Le déficit devrait donc avoisiner les 8 000 €. Le risque, pris par la Cie est calculé. Car , ce Macbeth bénéficie de la visibilité que lui donne le festival. La présence de journalistes et de programmateurs de théâtre extérieurs offre la perspective de « vendre » le spectacle ailleurs en France. « En tant qu’ardent défenseur du théâtre public, j’espère simplement que l’autoproduction n’est pas le modèle du futur », soupire le metteur en scène. Elle est au moins l’illustration concrète de la crise que traverse le monde de la culture et des coupes budgétaires auxquelles il est soumis.
« Tous les tyrans se ressemblent »
Travailler « à la recette » n’inquiète pas outre mesure David Gauchard sûr de la qualité de sa pièce crée en novembre au Théâtre de Cornouaille à Quimper (Finistère). « Elle fonctionne, y compris auprès d’un public de collégiens que nous avons touché à Redon et Morlaix. »
A 52 ans, son expérience de Shakespeare, avec entres autres Hamlet et Richard III, plaide pour lui. Au même titre que son compagnonnage avec le traducteur réputé André Markowicz. « Il traduit le texte du dramaturge britannique en respectant sa forme poétique qui repose sur des vers de dix pieds. Et non pas douze, comme les alexandrins. On évite ainsi le classicisme avec, en plus des fins de vers non rimés. »
Autre facteur de modernité: la présence du rappeur Arm dans le rôle de Macbeth. Il était dans la distribution du Hamlet, monté en 2007 en version électro-hip-hop par David Gauchard et programmé dans le cadre des Trans Musicales, « cette fois, Arm ne rappe pas, précise le metteur en scène. Mais son flow donne une couleur particulière au texte. »
A ses côtés, François Robin à la cornemuse et la chanteuse lyrique, Sophie Richelieu. D’où une pièce de théâtre en partie chantée, reposant sur « une scénographie très travaillée. Arm a composé la bande son, non pas dans un registre électro, mais plutôt celui d’une musique de film. »
La pièce respecte cette histoire de régicide, commis par Macbeth et son épouse, Lady Macbeth. « Tous les deux vont sombrer dans la folie, car le meurtre appelle le meurtre, le sang appelle le sang. Leur ambition folle d’accaparer la couronne se révèle vaine. » La version contemporaine de David Gauchard se veut intemporelle. Toute référence à l’époque contemporaine serait superflue, « quelle que soit l’époque, tous les tyrans du monde se ressemblent. »
Théâtre(s) / Automne 2024 / Tiphaine Le Roy
Shakespeare figure au répertoire de la compagnie L’unijambiste depuis ses débuts, avec Hamlet en 2004, puis Richard III en 2009. Son metteur en scène David Gauchard, y revient aujourd’hui, douze ans après son adaptation du Songe d’une nuit d’été (2012).
La pièce
David Gauchard: Quand nous avons monté Hamlet, j’ai tout de suite parlé à André Markowicz, qui en avait réalisé la traduction, de mon envie de monter Macbeth dans la foulée. Il m’a dit que nous le ferions plus tard. Je lui en ai reparlé il y a 3 ou 4 ans, et il m’a dit que maintenant nous étions prêts. André Markowicz, par sa traduction vient nous ouvrir la pièce. Dans l’adaptation que je prépare, il y aura 4 sonnets de Shakespeare dans la traduction d’André Markowicz et de Françoise Morvan.
Un projet mûri de longue date
DG: J’ai découvert ma passion pour le théâtre avec Shakespeare. Je me souviens que pour Hamlet, nous avons fait une version pour les scènes de musiques actuelles, avec des artistes de ces esthétiques comme Robert Le Magnifique. Pourquoi revenir à Shakespeare 12 ans plus tard ? Déjà parce que l’on sait, quand on prépare un Shakespeare, que l’on va monter une pièce de troupe. Et sur le choix spécifique de Macbeth, la raison est que je souhaite ouvrir un nouveau cycle de création sur le sujet du couple (je pense déjà à Scènes de la vie conjugale de Bergman pour la suite…). Macbeth est aussi un défi, c’est un « Himalaya » du théâtre. C’est peut-être la pièce la plus adaptée au monde, au théâtre, à l’opéra, au cinéma, mais la connaît-on vraiment ?
Le choix d’ARM pour le rôle de Macbeth
DG: Quand on choisit une pièce qui porte le nom de son personnage principal, on commence par s’interroger sur la personne qui pourra interpréter le rôle-titre. Loïc Renault avec qui nous avons travaillé sur Hamlet et Richard III, va faire sonner le texte comme personne. C’est une pièce dont on aimerait qu’elle puisse être seulement écoutée, presque radiophonique, pour entendre à la fois la langue (en pentamètre ïambique) et l’interprétation. Comme Loïc est rappeur, sous le nom de ARM, le piège est de croire qu’il y aura du rap, ou a minima du slam et de la musique hip-hop. Le sujet n’est pas là. Loïc sera acteur, avec les autres acteurs et actrices autour, dirigé par moi et Emmanuelle Hiron qui m’accompagne pour la première fois la direction de jeu.
Loïc Renault: L’idée n’est pas de rendre Shakespeare en rap. Cela a beaucoup été fait et ce n’est pas notre but. C’est un chemin que j’aime bien : je joue avec des comédiens et comédiennes, je ne me sens pas sous pression mais entouré.
Le politique par l’entrée de la poésie
DG: Je ne me suis pas imposé de parallèles « actuels ». On parle ici de tyrannie, de peurs, de folies meurtrières. Je me suis dit que je n’avais pas besoin de ramener la pièce à aujourd’hui pour lui donner plus d’impact, de résonance, mais que c’était plutôt à nous d’aller vers elle, vers sa poésie obscure. C’est sans doute l’inverse de ce que l’on fait aujourd’hui pour les spectacles documentaires ou intimistes, comme je l’ai fait dans mes créations les plus récentes (Inuk, Le fils, Time to tell, Nu). Ici ce qui nous anime c’est de se laisser aller vers un univers intemporel et la poésie des sonnets de Shakespeare est assurément intemporelle. Oui, aujourd’hui, monter une pièce de troupe et donner à entendre de la poésie est sans aucun doute un défi économique et politique.
La distribution
DG: Ce qui est toujours curieux dans les discussions avec les producteurs lorsque l’on aborde le sujet d’adapter Shakespeare, c’est que la question posée est tout de suite celle du nombre d’interprètes. La première impression est de se dire que monter Macbeth avec moins de personnages serait plus facile, mais c’est totalement faux. Cependant, c’est une contrainte intéressante, car cela m’a permis de me concentrer sur le couple Macbeth. Lady Macbeth sera interprétée par Marina Keltchewsky. Elle a cette particularité d’être une comédienne incroyable et une chanteuse rock, membre du groupe Tchewsky and wood, dont je connais bien le batteur Gaël Desbois. Pour les autres interprètes, j’ai rencontré Vanessa Liautey, avec qui j’avais envie de travailler. En répétitions à Montpellier dans le cadre d’un Warm-up du Printemps des comédiens, Vanessa, au pied levé, a brillamment donné la réplique du prince Malcolm à Marina et je lui ai proposé comme une évidence de jouer ce rôle masculin. Vincent Mourlon qui jouait dans Des couteaux dans les poules, Le songe d’une nuit d’été, Ekatérina Ivanovna et avait le rôle éponyme dans Richard III, sera Banquo. Il y aura aussi Sophie Richelieu, qui jouait dans Le temps et la rivière où je m’en vais pêcher, qui incarnera la voix du peuple, « le coryphée ». Et François Robin, sonneur de cornemuse, interprétera par sa musique, l’Écosse. Son interprétation live viendra contre balancer les musiques préenregistrées par ARM faites elles sur des machines.
Le couple Macbeth
DG: Dans cette pièce il existe un non-dit qui est « pourquoi n’ont-ils pas d’enfants ? ». Et il y a aussi la question « qu’est-ce que l’ambition d’un couple sans enfants ? »; Il y a quelque chose qui se joue autour de la question de l’hérédité, puisque Macbeth et Lady Macbeth n’auront pas de descendance alors que Banquo, si. Ça m’intéressait de créer un couple moderne dans sa manière de se parler et de se projeter dans un avenir commun : ambition et ascension sociale. Et dans Macbeth, on pousse au paroxysme puisqu’ils vont commencer par commettre un régicide.
LR: Ce qui est intéressant dans cette vision du couple, et on s’en est rendu compte en voyant de nombreuses adaptations, c’est que la pièce est souvent réduite de façon manichéenne selon un schéma où lui serait manipulé par sa femme, qui serait presque la quatrième sorcière de la pièce. Mais ce n’est pas si simple, et l’on se rend compte en lisant et relisant encore que ce couple est uni. Il est intéressant de travailler ce couple en tant qu’unité et pas de manière binaire selon l’idée que lui serait la victime et elle le personnage mauvais.
Le Courrier Cauchois / 10 janvier 2025 /
Des terrains de foot à la mise en scène de théâtre.
David Gauchard vit à Rennes en Bretagne.Le metteur en scène revient dans son pays natal, le 24 janvier prochain. Un de ses spectacle Nu est joué ce soir là à Fécamp au Théâtre le Passage. Le créateur de la Cie L’unijambiste a vu le jour le 6 janvier 1973 à St Romain de Colbosc…
Ces premières années, le cauchois ne les passes pas sur les planches. Gamin, il foule les terrains de foot. Plutôt doué. Au coeur des équipes de jeunes du SRAC (St Romain Athlétic Club), il porte le N°10, celui de Platini, puis de Zidane. Il était capitaine. Très assidu lors des entrainements et des matchs, il est accompagné par son père qui est encadrant bénévole. Le jeune David Gauchard intègre la classe foot-études de Saint Valéry en Caux d’où sont sortis les futurs pros Emmanuel Petit, Demba Iba, Antoine Devaux et quelques autres. L’expérience ne dure que quelques semaines. « Je ne me suis pas fait à la vie en internat, je me sentais en décalage. Je n’étais jamais sorti de ma campagne », reconnait-il.
Le ballon rond, il continue quelque temps. Mais le plaisir n’y ait plu. L’élève du lycée Guillaume le Conquérant de Lillebonne goûte au rugby avec l’équipe UNSS. SEs qualités de vitesse et son centre de gravité assez bas sont appréciés de ses coéquipiers et craintes de ses adversaires. David Gauchard aime également … les troisièmes mi-temps. Son BAC D (scientifique) en poche, il rejoint l’IUT de chimie de Rouen. C’est pendant ses études supérieures normandes qu’il arrête le sport pour lui préférer le théâtre. « J’avais déjà été initié par mon professeur d’histoire en terminal » , précise-t-il.
L’ancien meneur du SRAC intègre une autre sorte de collectif, la troupe universitaire La Réplique. « je me suis éclaté. Cela m’intéressait bien plus que la chimie, je l’avoue. Avec des copains, on écrivais des sketchs, un peu à la manière de l’émission Rien à cirer de Laurent Ruquier. On jouait dans les bars et les soirées étudiantes ». Le Saint Romanais ne pense pas alors en faire son métier. Mais dans la troupe certains de ses camarades nourrissent déjà le projet. Ils préparent les concours des écoles nationales d’art dramatique. Lui les accompagne pour leur donner la réplique. Du coup, il tente le coup lui aussi. A cannes sa prestation lui permet de passer le premier tour. Mais son manque de pratique et de références classiques lui ferme les portes à l’issue du second. » j’étais sur liste d’attente mais personne ne s’est désisté. Je suis resté dans le Sud. Je travaillais dans les hôtels pour les festivals ». La persévérence paie. L’année d’après il réussit cette fois le concours et entre à l’ERAC (Ecole régionale d’acteurs de Cannes. Qu’il quitte au bout…d’un an. « Je voulais être metteur en scène plus que comédien »., justifie-t-il. Problème, dans les années 90, aucun établissement en France ne forme à cette spécialité. La chance lui tend la main à l’Académie Théâtrale de l’Union de Limoges. Le directeur roumain Silviu Purcarete le laisse mener ses projets. « je travaillais la nuit à la lumière de la servante, la petite lampe qui reste allumée quand le théâtre est plongée dans le noir, se remémore David Gauchard. A la fin de mes études j’ai monté Mademoiselle Julie de Strindberg et le Centre d’art Dranatique (CDN) l’a achetée ».
En 1999, le Normand fonde sa compagnie L’unijambiste.
« L’unijambiste, c’est une blessure qui m’a éloigné du sport à haut niveau. Je me suis blessé ce qui me laisse une légère boiterie à vie ».
Il se fait surtout remarquer par ses mises en scène de Shakespeare dans les traductions d’André Markowicz. Hamlet en 2004, Richard III en 2009, Le songe d’une nuit d’été en 2012. Il monte ensuite des propositions plus contemporaines (Le fils, Inuk, Nu). Son travail mélange les influences. Auteurs, traducteurs, comédiens, musiciens, chanteurs lyriques, danseurs, artistes graphiques et photographes. Ses résidences successives ressemblent à un véritable tour de France : Bellac, Aubusson, Villefranche sur Saône, Saint Nazaire, Chambéry, Quimper, Saint Quentin en Yvelines, Redon, Perpignan,…
En 2024 le metteur en scène se frotte à nouveau à Shakespeare avec la sulfureuse pièce Macbeth toujours fidèle à son traducteur André Markowicz.
« Dans le métier, elle a la réputation d’être maudite ». Pour conjurer le mauvais sort, David Gauchard donne le premier rôle non pas à un acteur de formation mais au rappeur ARM. Et le pari est gagnant. Les spectateurs ne sont pas avares d’applaudissements. Comme dans les stades finalement.