Tous les ans depuis cinq ans sort un album des Mistoufles. Ce travail extraordinaire de compagnie de l’Unijambiste, animée par David Gauchard et Emmanuelle Hiron — avec des musiciens, ici, Loïc Renault (Arm) et Robert le Magnifique.
Il s’agit, dans le cadre d’une collaboration avec un théâtre qui accueille le travail de la Compagnie, de travailler pendant plusieurs mois dans une école primaire avec les élèves sur des poèmes écrits par Françoise Morvan. De travailler, c’est-à-dire, concrètement, de faire un disque avec ces chansons —ces poèmes. De faire vivre la poésie à l’école. Cette année, avec une classe de CM1-2 d’une école rurale de la Creuse, celle de St Marc à Frongier, sous l’égide de la Scène Nationale d’Aubusson, du théâtre Jean Lurçat, dirigé par Gerard Bono — un théâtre encore plus menacé cette année par des baisses drastiques de subventions — et qui, pourtant, fait un travail extraordinaire, depuis des années et des années, qui fait vivre la culture et qui remplit les salles.
Cette année, le thème des « Mistoufles » c’était « Canaillettes et canaillons »… Des portraits d’enfants qui ont un problème à résoudre — le petit gros qui est mis au régime, la coquette qui joue les zoulettes, l’étourdi, l’indécis, le fugueur, bref, tout ça pour continuer la série « Petits soucis » qui avait inauguré la série, il y a déjà cinq ans…
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Quand on parle de poésie, chers amis lecteurs, combien, parmi vous, je ne dis pas sortent leur revolver, mais passent à la chronique suivante ? parce que, vous savez, c’est le principe de base, toujours le même, — et chez vous aussi. Surtout ne pas se déplacer dans la vie, rester sur ce qu’on sait, ne pas se lancer dans l’inconnu, — et, pire encore que dans l’inconnu, dans l’inutile. La poésie — et c’est sa définition première — ne sert à rien. Et pourquoi elle ne dit pas les choses tout simplement, comme tout le monde, en faisant un récit avec un début et une fin ?
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Imaginez ce que c’est, pour les enfants, de prendre sur eux les mots de Françoise, et de faire entendre leur voix — pas seulement tout seuls, mais en harmonie avec les autres. Imaginez la force qu’il faut à ceux qui travaillent avec eux — et leur joie, à tous, une fois qu’ils ont entendu ce qu’ils sont capables de faire.
Et puis, il y a ça. — Il y a, bien sûr, des chansons entraînantes, qui tiennent sur le rythme, sur la danse, et elles sont magnifiques, et drôles — et très sérieuses, bien sûr. Mais c’est clair qu’elles peuvent passionner les enfants juste par leur énergie. — Ce que je voulais vous faire entendre, — vous entendrez les autres sur le site de Françoise et celui de l’Unijambiste — c’est une chose très différente, plus longue, — méditative. Ce poème, quand je l’ai lu (il y a des années), il m’a percé le cœur. Je le retrouve ici, chanté par ces enfants, ça touche encore plus. C’est « La cantilène de l’indécis ».
Pomme ou paille,
Plume ou prune,
Basilic ou romarin ?
Une pomme, c’est piteux,
Une paille, c’est miteux.
La pomme est tombée,
La paille a séché,
Le merle a quitté le nid,
Et, moi, je n’ai rien choisi.
Je voulais tout, je n’aurai rien.
Essayez d’être plus malins.
La chance est légère et trop brève,
La vie s’envole comme un rêve.
Pomme ou paille,
Plume ou prune,
Basilic ou romarin ?
Une prune, ce n’est rien,
Une plume encor bien moins.
La prune a mûri,
La plume est partie,
Le ramier s’est envolé
Et l’automne est arrivé.
Je voulais tout, je n’aurai rien.
Essayez d’être plus malins.
La chance est légère et trop brève,
La vie s’envole comme un rêve.
Pomme ou paille
Plume ou prune
Basilic ou romarin ?
Le basilic, c’est si peu,
Donnez-moi au moins les deux.
Le basilic s’est fané,
Le romarin a séché,
Le feu s’est couvert de cendres
Et je suis resté attendre.
Je voulais tout, je n’aurai rien.
Essayez d’être plus malins.
La chance est légère et trop brève,
La vie s’envole comme un rêve.
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Vraiment, oui, — plus on demande, plus on reçoit.
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Et puis… C’est la croix et la bannière (dit le Juif en moi) de publier des poèmes pour les enfants. Parce que les éditeurs, c’est encore pire que tout. Dès qu’on leur dit « poésie » — surtout pour les enfants —, ils vous proposent d’écrire des histoires par tranches d’âge (les 8-9 ans ne devant pas lire ce que lisent ceux de 10, sans parler de ceux de 10 et demi). Que les enfants puissent vivre avec mots qui chantent, tout simplement, on a l’impression que c’est juste impensable… Et quoi, les enfants…
On nous formate tout le temps, chers lecteurs, — c’est clair. Mais les éditeurs pour enfants, trop souvent, ce sont les pires des formateurs. Et quand je dis « formateurs », je veux dire que, trop souvent, trop souvent, ils forment à leur image, c’est-à-dire qu’ils formatent à leur image, une image déjà déformée par la peur de l’inconnu qui les a formatés eux-mêmes. — Et l’étau se resserre, quand on y regarde, d’année en année.
Françoise publie aux éditions MeMo une collection, « Coquelicot », qui comporte trois titres, — et devrait bientôt en compter deux autres… mais quoi, ça fait, au maximum, un livre tous les deux ans, et encore… Vous n’imaginez pas combien de textes sont encore inédits. Vous ne connaîtriez pas un éditeur ?