Der Freischütz

Viens, viens bénir les balles ; que la tienne soit comme il faut.

Lutte des classes, lutte des passions, lutte des générations, lutte entre le Bien et le Mal au sein des âmes, des êtres et des groupes : dans cette nouvelle production, David Gauchard met en scène avec force les oppositions qui jalonnent le Freischütz. La torture qu’endure Kaspar, le dilemme de Max, l’angoisse d’Agathe, la tension générale qui anime les personnages déchaînent les vibrations d’un romantisme violent qui ne se résout que dans la rédemption finale. L’ermite et le chœur dépassent largement leur rôle dans l’histoire : ils nous racontent ce mythe, cette parabole, comme pour nous alerter des périls du monde extérieur, des combats qu’on s’y livre et du pouvoir du Mal.

Le Freischütz est votre toute première mise en scène d’Opéra ?

Effectivement, il s’agit là d’une première fois. Après plus de dix années de bons et loyaux services à la cause Shakespearienne et au théâtre contemporain, j’ai une envie furieuse d’entamer une série de première fois ! Au mitant de ma vie, l’expérience du vide reste toujours grisante. Il faut rester vivant pour être créatif et à chaque fois se mettre en danger, du moins, je crois. Alain Mercier, le directeur de l’Opéra-Théâtre, a senti depuis longtemps qu’il fallait bouger ses lignes artistiques, être audacieux pour réinventer les oeuvres. Il connait bien mon travail, mon rapport à la scène, au sens et à la musique. Il m’a fait une invitation telle que je ne pouvais la refuser.

 

Quelle est la différence entre diriger des chanteurs et diriger des acteurs ?

A vrai dire, je n’avais jamais dirigé de chanteurs lyriques. J’étais (et le suis toujours) très intrigué et très impressionné par cette discipline. D’une part, la performance technique, fruit du travail d’une vie, et de l’autre, l’interprétation qui fera la différence. Je pense parfois à la grâce du patinage artistique. Comment aborder le travail ? Simplement en dialoguant, en conjuguant, avec respect, droit dans les yeux.
Un temps, je vais être subjugué par le chant, l’orchestre, le chef, c’est sûr. Le temps d’après sera mon tour. Mettre l’oeuvre au centre. Etre à son service. Travailler avec chacun sur son interprétation, sa raison d’être là, sur le plateau, au service d’une histoire, d’un sens, d’une esthétique. Je souhaite que la forêt avance d’un seul homme. Etre cent et ne faire qu’un, le temps d’une représentation, là est la beauté du geste.

 

Pourquoi le Freischütz ?

Quelques jours après qu’Alain Mercier m’ait proposé de réfléchir à cette pièce, j’ai mis mon casque audio sur mes oreilles et, assis dans le train, regardant la campagne filer à toute allure, je me suis laissé porter par l’ouverture. Instinctivement, je savais qu’il me fallait dire oui. L’oeuvre est magnifique et le livret passionnant. J’ai tout de suite imaginé un monde autoritaire, militaire, presque fascisant où l’homme en proie aux doutes s’embourbe dans une lutte des classes et dans des jeux de conventions sociales désuètes, prêt à tricher pour un bout de bonheur.
Les gens sont en manque de reconnaissance. Partout. Au travail, dans son couple, sa sexualité, son identité, sa religion, sa vision politique, son humour, partout l’isolement guette et les peurs grandissent. La perte de confiance en soi ou l’égocentrisme à outrance, voilà ce que la société produit aujourd’hui. Il faut rester vigilants.

Opéra en trois actes de Carl Maria von Weber
Livret de Johann Friedrich Kind
Mise en scène : David Gauchard
Collaboration artistique : Nicolas Petisoff
Assistant à la mise en scène : Michaël Martin-Badier
Scénographie : Fabien Teigné
Costumes : Jérôme Viala
Vidéo : David Moreau
Lumière : Christophe Chaupin
Direction musicale : Thomas Rosner

Genre : opéra
Année de création : 2015
Public : tout public
Durée estimée : 2h30
Avec : Andreiy Maslakov, Martin Homrich, Ileana Montalbetti, Anna Patalong, Frédéric Caton, Andreas Scheibner, Boris Grappe, Nicolas Petisoff, Chœur de l’Opéra-Théâtre de Limoges (effectif : 48)
Direction : Jacques Maresch /Orchestre de Limoges et du Limousin (effectif : 58)

Production > Opéra-Théâtre de Limoges

Revue de presse

Opéra Magazine n°106 / Jean-Luc Macia

Un beau succès public.

Pari audacieux, pour l’Opéra de Limoges, que d’offrir, sans coproducteurs (pour l’instant), Der Freischütz. C’est la volonté d’Alain Mercier, son directeur général et artistique de monter ainsi, en propre et en alternance, grand répertoire et raretés, ce qui impose un gros travail à toutes ses équipes. Le tout, regrettera-t-on, pour deux dates seulement. Mais Alain Mercier objecte qu’avec une jauge de 1400 places, deux représentations ici équivalent à quatre dans des théâtres plus petits, comme Rennes ou Reims. De plus, cette soirée du 10 mars a été diffusée en direct sur Radio Classique. Et ces efforts ont abouti à un beau succès public, valant de nombreux rappels aux interprètes.

La mise en scène a été confiée à David Gauchard, qui réalise là son premier travail lyrique. Il a imaginé un univers sombre, presque fascisant où règne une manière de lutte des classes. D’où ces costumes noirs, cette ambiance ténébreuse, ces choristes plutôt statiques. Peu de décors et d’accessoires, mais un copieux usage de la vidéo (David Moreau). Celle-ci est, à la fois, géométrique (un panneau de losanges semblables à des moucharabiehs, colorés par moments) et figurative (des scènes de chasse ou de légendes médiévales, projetées sur un rideau transparent).
Incontestablement, cette vision a son esthéthique, judicieusement bousculée lors du tableau de la Gorge-aux-loups, le plus réussi du spectacle : Kaspar fond ses sept balles franches au dessus d’une fosse en flammes, tandis que les choristes, dans son dos, s’agitent en une bacchanale ondulente du plus bel effet. Reste que David Gauchard insère des « concepts » personnels qui nous laissent songeurs, comme ce personnage muet (Nicolas Petisoff), l’Ombre, deus ex machina dont on ne voit pas concrètement l’utilité, ou ces grands chiens en faïence blanche qu’au début du III, cinq femmes affublent de traits de peinture.
Autre audace, le metteur en scène confie à Kaspar le rôle de Samiel (à la Gorge-aux-Loups, le chanteur fait à la fois les questions et les réponses, comme si le mal était en lui) et celui de l’Ermite (à la fin de l’opéra, Kaspar est censé trouver la rédemption). Soit, mais cela ne simplifie pas la compréhension de l’intrigue par le public.
La magnifique musique de Weber est portée par la direction ardente, bien dosée et aux effluves romanesques, de l’excellent Robert Tuohy; l’orchestre de Limoges et du Limousin répond correctement à ses sollicitations. Malgré des sopranos un rien criardes, le Choeur se tient également bien.

Andrey Maslakov a la rude tâche d’incarner Kaspar, Samiel et l’Ermite, avec une voix profonde, beaucoup de dynamisme, mais aussi quelques imprécisions. Martin Homrich a plus de puissance qu’il n’en faut pour Max, mais un vibrato mal maîtrisé et persistant gâche une émission insuffisamment ouverte. Ileana Montalbetti séduit d’abord en se montrant à l’aise dans les duos, puis venant à bout, sans trop de mal, du grand air d’Agathe. Mais sa « prière » du III est catastrophique, avec des cascades de fausses notes et d’à-peu-près dans les vocalises descendantes. Heureusement, Anna Patalong, ravissante et pétillante, est très satisfaisante, prêtant à Ännchen une voix certes lumineuse, mais au métal robuste, loin des soubrettes qu’on distribue dans ce rôle. A elle seule, la soprano britannique illumine ce ténébreux Freischütz, dont l’indéniable impact est atténué par de multiples petites faiblesses.

 

 

Forumopera.com / Laurent Bury

En France, les représentations du Freischütz ne courent pas les rues. On sait donc gré à l’Opéra de Limoges d’avoir inclus dans sa saison, à côté de deux titres incontournables (Le Barbier de Séville en décembre, Così fan tutte en juin prochain) deux spectacles plus rares, les quatre petits opéras de Tailleferre cet automne, et le Weber à présent.

Un autre grand mérite est d’avoir su éviter l’écueil du naturalisme. Ce Freischütz frappe d’emblée par une identité visuelle tout à fait personnelle et assez séduisante (malgré sa relative austérité) qui exclut presque toute référence au romantisme des paysages et des châteaux. Devant un arrière-plan composé de triangles assemblés à la Vasarély, la scène n’est habitée par moments que d’une grille parsemée d’étoiles pour le premier air d’Agathe ou de blocs mobiles hérissés de lances pour la Gorge aux loups. Des projections viennent éclairer ce décor noir et introduire les accessoires évoqués par le livret. Les costumes sont noirs eux aussi, avec pour tous un détail orange, ces deux couleurs dominant l’ensemble du spectacle. Dommage que dans la première partie de la représentation, le souci de stylisation n’ait parfois conduit David Gauchard à pétrifier ses interprètes. Changement radical et bienvenu avec la Gorge aux loups, où chacun se lâche complètement : les sept balles magiques (devenues ici des lances) sont tirées de l’eau par un mystérieux personnage muet qui accompagne l’action de bout en bout, Kaspar semble possédé par les forces infernales, et le chœur, par ailleurs plein de conviction dans son chant, s’abandonne à des poses lascives accompagnées de chuchotements suggestifs. Au dernier acte, le deuxième air d’Agathe donne lieu à un moment de kitsch délibéré : les six demoiselles qui lui offrent ensuite sa couronne de mariées sont déjà en scène et peignent sur des chiens en céramique (hommage à la porcelaine de Limoges ?). Pendant le chœur des chasseurs, le muet mentionné plus haut viendra barbouiller la gueule des chiens à la peinture orange, subtile allusion à la barbarie de l’art cynégétique.
C’est à Andriy Maslakov qu’iront évidemment les faveurs du public, non sans raison, mais plus peut-être que sa voix de basse, qui pourrait être plus disciplinée, ce sont ses talents d’acteur qui impressionnent : la mise en scène fait de Kaspar un schizophrène, que son dédoublement de personnalité fait dialoguer avec lui-même à la Gorge aux loups, avant de se transformer en Ermite pour sa rédemption finale.

Souhaitons que ce spectacle d’une réelle beauté, produit par le seul Opéra de Limoges, puisse être repris par d’autres maisons, où il pourra bénéficier de quelques ajustements nécessaires.

 

Concertonet.com / Gilles Charlassier

Fidèle à son univers visuel, David Gauchard a inscrit sa lecture dans le noir presque sans échappatoire de la scénographie réalisée par Fabien Teigné, la lumière de Christophe Chaupin et les costumes de Joël Viala. Elle présente au moins l’avantage de ne pas rechercher de stériles transpositions, et le panneau luminescent sur lequel se projettent les cibles, le cerf et la rose nuptiale suffit à donner au conte une allure contemporaine, dont il sert la lisibilité. L’animation du titre en lettres gothiques compte parmi les belles trouvailles de la vidéo de David Moreau. Dans la sémiologie de l’ensemble, on pourra également évoquer les badigeons de rouge sur les blancs chiens de faïence, stigmates de la cruauté sanguinolente de la chasse. C’est cependant l’Ombre (Nicolas Petisoff), rôdant avec son masque de métal, miroir de métal poli comme une statue de Brancusi, qui constitue à la fois l’apport original du travail et son fil conducteur, à la fois signe du mal – Samiel – et de la rédemption – l’Ermite. L’aura de Hölderlin plane sans doute au-dessus d’une telle interprétation.

On en retrouve la conséquence dans la distribution au même soliste des rôles de Kaspar, Samiel et l’Ermite. Si le second relève du registre parlé, l’accord entre les tessitures des deux autres peut tenir de la gageure, qu’Andriy Maslakov relève sans faiblesse. La basse slave réussit la schizophrénie au fond de la Gorge aux Loups, quoique l’hystérie à la septième balle penche vers un histrionisme avec lequel le chœur et ses murmures plus théâtraux que lyriques se montrent complices. Le reste du cast s’avère parfois inégal. Frédéric Caton incarne un Kuno paternel comme il se doit, et Boris Grappe affirme l’aplomb attendu de Kilian. Mais si Martin Homrich possède la couleur de Max, il lui manque l’endurance. L’équilibre entre Ileana Matalbetti et Anna Patalong prend le contrepied de celui que l’usage a consacré entre Agathe et Ännchen, l’impact vocal faisant souvent défaut à la première. Quant à l’Ottokar d’Andreas Scheibner, son autorité évidente ne connaît guère que la nasalité patriarche, certes généralement de circonstance.

A tout le moins, l’oreille pourra se réfugier dans la direction de Robert Tuohy, dont on avait déjà salué l’intelligence et l’artisanat accompli dans Carmen en janvier 2014. A la tête de l’Orchestre de Limoges et du Limousin, il fait respirer les textures éminemment germaniques de la partition, dont il sait les nombreuses virtualités, laissant ainsi s’épanouir les accents mendelssohniens ou berlioziens, comme les affinités beethovéniennes. A ce titre, Limoges rend justice à Weber, et cet honneur n’est pas mince en France.

 

Espritmusique.com

Der Freischütz, opéra romantique en trois actes de Carl Maria von Weber est une œuvre très peu programmée en France car très exigeante. Le public de l’Opéra de Limoges et les auditeurs de Radio Classique ont eu le plaisir de découvrir une version originale forte d’une identité certaine.

Ce fut une soirée pleine de frissons, comme l’avait prédit la présentatrice Laure Mezan. Ce conte fantastique d’une réelle beauté mêlant magie noire, nature, chevalerie, pacte avec le diable nous a transporté au gré du terrifiant tutti, des personnages charismatiques, du chœur des chasseurs … Ce fameux thème célèbre s’inscrit dans une véritable tradition populaire allemande.

Un rideau de fer se lève sur un décor épuré et sombre pour l’ouverture de cette toute nouvelle production.

Le rôle de l’ombre, muet, traversant la scène comme un observateur, un texte projeté, des javelots représentant les balles magiques… Une mise en scène surprenante et très efficace née de l’imagination et de l’univers de David Gauchard pour sa première expérience opératique.

Anna Patalong, excelle dans le rôle d’Ännchen, sublimant chaque air grâce à son timbre plein.
L’Agathe d’Ileana Montalbetti interprète à merveille le sublime air cavatine de l’acte III avec des aigus cristallins, très colorés et une grande sensibilité.
Andriy Maslakov brille dans les rôles de Kaspar, Samiel et l’Ermite avec son incroyable voix de basse et ses grandes qualités d’acteurs.
Fort d’un tempérament dynamique et d’une belle force de projection l’Ottokar d’Andreas Schneider se distingue par sa dimension théâtrale.

Robert Tuohy, chef américain récemment nommé directeur musical de l’Orchestre de Limoges a réalisé un excellent travail avec son orchestre, il livre une interprétation dynamique et pleine de caractère.
Comme celui-ci le confiait à Laure Mezan durant l’entracte, il a longtemps rêvé de diriger cette œuvre, véritable carrefour entre l’héritage de Beethoven et la musique de l’avenir et elle représente pour lui un moyen idéal de créer le lien avec son orchestre, de construire un son ensemble.

Cette représentation fut à la hauteur de l’exigence de l’œuvre, un moment hors du temps durant lequel nous avons pu plonger dans l’univers des contes de notre enfance…

On vit passer, lié sur un cerf aux abois,
Un braconnier puni d’avoir enfreint les lois.