Aux plus adultes que nous

Le théâtre c'est (dans ta) classe

 Le texte Aux plus adultes que nous est une commande d’écriture des Scènes Nationales du Jura (Direction Virginie Boccard) et du théâtre Am Stram Gram de Genève (Direction Fabrice Melquiot) dans le cadre du dispositif Le théâtre c’est (dans ta) classe pour la saison 2016/2017. Il sera écrit par Samuel Gallet, mis en scène par David Gauchard avec Leila Brahimi et Chloé Maniscalco.

Le théâtre c’est (dans ta) classe est une opération qui, comme son nom l’indique, vise à faire entrer le théâtre dans les établissements scolaires. Le principe est très simple : on pousse les tables et les chaises, on forme un petit gradin improvisé et là, un comédien ou une comédienne apparaît, sans décor, sans lumière artificielle et sans son rajouté…

Texte : Samuel Gallet

Mise en scène : David Gauchard

Avec : Leïla Brahimi ou Chloé Maniscalco

 

Ce texte est une commande d’écriture des Scènes du Jura – Scène nationale et du Théâtre Enfance Jeunesse Am Stram Gram – Genève dans le cadre du dispositif Le théâtre c’est (dans ta) classe pour la saison 16-17.

Extrait du texte

Je voudrais écrire une lettre aux plus adultes que nous. Je veux le faire mais pas seule. Je n’y arrive pas seule. Il y a tellement à dire et ça s’embrouille dans ma tête. Et j’ai toujours peur de dire mal les choses. J’ai envie qu’on soit nombreux. Pour dire tout ce qu’il faut dire aux plus adultes que nous. A ceux qui sont nés avant nous. Qui ont vu le monde comme il était avant qu’on arrive. Avant même que nos yeux ne se soient ouverts. Parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas non ? Quelque chose qui déconne non ? Il nous manque quelque chose non ? Un secret. Une formule. Pour vivre bien non ? Ensemble non ? Ce serait une lettre collective pour trouver comment vivre tu vois. Il faudrait demander à tout le monde. Il faudrait faire une chaine aux plus adultes que nous. Remonter le temps. Et chacun remonte le temps. Et chacun demande aux plus adultes que lui. Et comment vous avez fait pour vivre ? Et le temps ira à l’envers. Et on avancera dans les années vers l’origine. Qu’est-ce que ça faisait de vivre dans les années 80 ? Dans les années 60 ? Et pendant la seconde guerre mondiale ? Comment est- ce que vous avez fait pour vivre ? Et comment vous avez tenu la vie et vos rêves ? Et les plus adultes alors ils écouteront l’air grave et le regard et les poings serrés parce qu’ils comprendront très bien la question et d’un coup d’un mouvement à la fois vif et lent et majestueux ils se retourneront vers le silence de leurs pères et ils demanderont à leur tour comment avez-vous fait pour vivre et avec tous vos rêves laissés là inutilisés ? Et leurs pères ne diront rien et se retourneront vers le passé comme de très lents animaux qui font frémir les pierres et ils demanderont aux plus adultes. Et on passera le vingtième siècle. Et on dira Comment vous faisiez chaque jour avant l’électricité et c’était quoi les questions que vous vous posiez ? Les grandes pensées ? Les petites ? Et vos révoltes ? Et bientôt apparaîtront les châteaux du moyen-âge perdus dans les forêts et les villages des campagnes profondes et on demandera ce que ça voulait dire d’être une femme au 9ème siècle et une jeune fille au 8ème siècle et au 7ème et au 6ème dans les campagnes ou à la montagne et ce que ça faisait de regarder la vie devant soi toute la vie devant soi le matin assise par terre en mâchant un bout de réglisse. Et on demandera ensuite aux anciens et ils demanderont aux anciens dans les très vieilles cités de l’antiquité les très vieilles cités bleues près de la mer immobile et immense dans le soleil. Et on demandera alors à un plus adulte un vieux marin sur un bateau Comment as tu fais pour vivre malgré les tempêtes et l’incertitude des flots ? Et il s’embrouillera c’est sûr et il aura un sourire doux et étrange à la fois et on remontera encore jusqu’aux temps très anciens et bientôt il n’y aura plus d’écriture. Que des paroles. Des signes dans l’air et des dessins dans la poussière qu’un souffle de vent efface aussitôt. Et on demandera est-ce que vous avez le secret les plus adultes que nous Une formule ? Pour vivre ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Nous l’avons perdu. Nous ne savons plus comment vivre. Et ils regarderont celui qui les questionne celle qui leur demande et ils se retourneront vers le passé et bientôt il n’y aura plus que des cavernes et plus de langage du tout et plus d’êtres humains la terre vide d’êtres humains. Et on demandera alors aux plantes et aux animaux fabuleux qui marchaient lentement sur la terre bien avant que les plus adultes que nous n’ouvrent les yeux sur le mystère bien avant que leurs yeux ne soient formés dans l’obscurité des origines. Et alors ce seront les océans immenses avec le silence des eaux du tout début du monde et avant la terre encore les vents qui la traversaient et puis on remontera alors au tout début du bigbang et avant quand il n’y avait pas encore de temps ni d’espace pour demander à l’infini comment vivre. Voilà ce qu’il faudrait faire pour écrire aux plus adultes que nous. Si tu veux tu peux nous aider. Ecrire quelque chose. Sur une feuille. Et trouver l’antidote à cette épidémie de silence. A cette maladie qui nous transforme tous en carpe. Parce que ça finira par marcher si on s’y met à plein. Si on est de plus en plus nombreux à parler. Tu écris ce que tu veux. Et tu le déposes ici. Je viens le récupérer dans dix minutes. Et on l’ajoutera aux textes de tous les autres. La lettre elle n’a pas de fin et c’est tant mieux non ? J’étais dans cette école avant. Comme toi. Avant de devenir une carpe. Avant de devenir une plus adulte que vous.

Affiche
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« Il y a une chose que peut l’adulte : marcher, mais une autre qu’il ne peut plus – apprendre à marcher. »

Walter Benjamin