Jongler est pour moi ce qui m’aide à me projeter dans le temps sans craindre la peine de l’existence.

Parfois des choses non choisies s’avèrent des voies intéressantes…
Dans ce spectacle de jonglage contemporain, avec technique, poésie et virtuosité, le circassien Martin Palisse raconte sa maladie. De celle qui asphyxie, de son incidence dans le rapport aux autres, dans les choix de vie, les postures… un portrait puissant et intime. Le metteur en scène David Gauchard, tel un sociologue ou un reporter capture la parole de Martin Palisse pour la mettre en scène en parallèle d’un acte de jonglage radical, fatiguant, endurant, lent puissant, un acte extrêmement physique.

Ainsi la musique intérieure de Martin, sa voix, son souffle accompagnent ce parcours dans une tension permanente qui devra être explorée, dépassée par un acte physique libérateur et sauvage. Avoir recours à l’art et à la légèreté pour (sur)vivre.

Depuis que je suis né je négocie
Je négocie avec la vie
Je négocie un tas de détails
Je crois que j’ai fini de négocier
Je vais donc arrêter de ne pas parler
Je vais dire pourquoi et comment
Qu’est-ce qui me tient ?
Le jonglage ?
La peur de la souffrance ?
La vie à tout prix ?
je suis né avec la mucoviscidose, maladie génétique
c’est un héritage
j’avais une chance sur 4, c’est tombé sur moi
je ne suis pas programmé comme tout le monde
je suis delta F 508 homozygote, déformation sur le gène numéro 7
dit comme ça c’est toujours abstrait à 39 ans
je sais ce que ça entraîne concrètement sur mon corps
c’est particulier de voir comment le savoir s’énonce, mon savoir de la maladie, savoir de l’expérience, et le savoir médical de l’observation et des études
je suis dépisté anténatal
cela signifie que mes parents et le milieu médical savent avant moi
c’est mieux pour être traité dès la naissance
mais c’est aussi ce qui créé une tension, ils savent ce que j’ai que je ne sais pas et ils décident beaucoup pour moi, mais moi je subis et porte la maladie et je suis pendant un temps dépossédé.
J’ai très mal vécu cela
mon père dit que je n’ai jamais été petit
je ne sais pas ce qui pèse le plus sur moi aujourd’hui
les symptômes de la maladie ou toutes les conséquences d’être une personne malade
j’ai le sentiment que ma maladie a déterminé presque tout dans ma vie
En 1989, les scientifiques comprennent que c’est l’altération de la protéine CFTR qui est à l’origine de la maladie
Il y a deux grands symptômes : pulmonaire et digestif
Dans mon cas je connais les deux symptômes, sans qu’aucun n’ait de manifestation sévère
Une chance dans l’affaire
Je me dis parfois que cette histoire est même une chance tout court
J’ai une vms de 63%
Pour la plupart d’entre vous c’est 100%, ou très proche
C’est peut-être grâce à ma maladie que je me suis toujours battu, toujours investi au maximum
Il y a eu des moments où je l’ai aimé ma maladie, elle m’aidait à choisir vite
Je pense souvent à la mort, depuis tout petit
C’est un souvenir ancré loin dans ma mémoire
J’ai envie de pouvoir choisir ma mort
Je l’imagine toujours belle
Quand c’est dur, je réfléchis et je choisis toujours la vie
Là il faut se battre
Il faut que j’arrête de me battre pour vivre et simplement que je vive
Je ne sais pas si c’est possible
Il y a toutes les visions que je refuse
Porter un masque c’est très humiliant pour moi
Il ne faut pas perdre de temps
Pas le temps de se plaindre
Plus le temps de négocier

© Christophe Raynaud de Lage
Conception, mise en scène & scénographie David Gauchard & Martin Palisse
Interprétation Martin Palisse
Création sonore Chloé Levoy
Création lumière Gautier Devoucoux
Régie en alternance Laurine Chalon & Jean Gueudré

Création les 13, 14 et 15 août 2021 aux Multi-Pistes / Le Sirque, pôle national cirque de Nexon

Genre : cirque

Durée estimée : 1h20

Production > L’unijambiste

Diffusion > La Magnanerie

Production exécutive > Le Sirque, Pôle National Cirque, Nexon, Nouvelle Aquitaine
Soutiens > Les SUBS, Lieu vivant d’expériences artistiques, Lyon – L’OARA, Office Artistique de la Région Nouvelle Aquitaine

www.lesirque.com

Revue de presse

Alter1fo / 14 avril 2023 / Lisenn

Retour sur Mythos : Time to tell ou jongler avec la vie

Etre retourné.e et captivé.e à la fois, le temps d’une petite heure dans cette église sépulcrale du Vieux St Etienne : voilà le résultat de Time to tell, un spectacle de Martin Palisse de la Cie L’Unijambiste, présenté durant le festival Mythos édition 2023.

Martin Palisse arrive un peu hagard sur ce plateau blanc rectangulaire, futur terrain de jongleries ; il prend le temps d’observer le public avant d’y poser délicatement les pieds. Puis il raconte son histoire la plus intime, son héritage génétique, son chromosome 7 en anomalie, sa mucoviscidose. Il en fait la démonstration grâce aux balles de jonglage unicolore et bicolore : un cours d’ADN en pratique !

Un vinyle sur la platine et il s’élance sur une ligne imaginaire au centre du plateau blanc, ne quittant jamais des yeux cette boule de jonglage sombre, son étoile noire. Chorégraphie délicate et en équilibre au son de sa voix enregistrée qui narre son quotidien de malade. Martin Palisse dévoile des détails très personnels de sa vie, tout en jonglant avec poésie et délicatesse.

La luminosité s’assombrit et on plonge avec lui… Beaucoup d’humour (noir) sur l’hôpital, ses étiquettes, ses couloirs et ses grands professeurs : « J’étais juste un malade ». Et trois balles blanches qui passent d’une main à l’autre avec une grâce et une dextérité déconcertante.

Les vinyles s’enchaînent, les changements de rythme aussi. Pleine lumière sur le dance-floor avec « F*ck They» de SOFI TUKKER et des décibels qui résonnent haut et fort dans cette église déconsacrée. Martin Palisse jongle, le souffle court, la respiration sous contrôle. Une chorégraphie toute en accélération, comme une fuite dans le temps, une lutte envers et contre le souffle, contre les désagréments de la mucoviscidose. Une course contre la montre, contre la « date de péremption » accordée par la science et la médecine. Il jongle, avec les traitements et les effets secondaires, avec la gratuité de ce nouveau médicament expérimental, il jongle en courant autour de ce plateau blanc, de plus en plus vite… Il teste ses limites et les nouvelles potentialités offertes, il a dépassé la date de péremption, il jongle avec le futur, son futur.

« Je ne m’interdis pas de vivre » : et c’est en valsant, tel un danseur de transe, qu’il décrit au public, non sans un certain humour acerbe, le test de l’EFR à l’hôpital et sa performance de 61%. Le témoignage donne le tournis, les chiffres et cette maladie aussi. Mais tant qu’on jongle, on reste en vie ! Martin Palisse tourne sur lui-même à en perdre haleine, balles de jonglage posées sur ses poignets… Le derviche tourneur de la jonglerie nous fait aussi tourner la tête et nous entraîne dans son tourbillon cathartique.

Une très belle leçon de vie, d’humilité, de grâce et de dextérité. On quitte le théâtre tout ému.e par ce moment suspendu. (Et on jalouse celles et ceux qui auront la chance le lendemain de participer à un atelier de jonglage avec l’artiste. On aurait vraiment aimé en faire autant !)

 

Théâtre(s) / Automne 2022 / Tiphaine Le Roy

Time to tell est un récit à la première personne de Martin Palisse, circassien reconnu, à la tête depuis plusieurs années du Cirque, pôle national des arts du cirque de Nexon dans le Limousin.
Dans ce spectacle, il associe son art, le jonglage, à son parcours de vie cadencé par d’innombrables rendez-vous médicaux et les inquiétudes liées à sa santé. L’artiste révèle dès le début du spectacle qu’il est atteint d’une affection génétique sévère, la mucoviscidose.
Eloignant rapidement tout pathos, il revient sur son histoire personnelle, marquée par l’empreinte physique de sa maladie, qui nuit notamment à ses capacités respiratoires. Il raconte, tout en manipulant les balles, comment le jonglage est devenu une éthique personnelle, un moyen d’apprivoiser son corps et de l’amener au plus loin que les pronostics médicaux ne l’imaginait.
La réussite de Time to tell tient beaucoup à l’équilibre trouvé entre les mots et le défi physique du jonglage.
Pour le texte et la mise en scène, Martin Palisse a fait appel à David Gauchard, qui excelle dans le théâtre de récit. Celui-ci est issu d’entretiens qu’ils ont menés ensemble. La discipline et la performance que représente le jonglage apparaissent dans les mots et au plateau comme un moteur pour le circassien. Les balles sont une partie intégrante de la vie de Martin Palisse et il les projette dans des figures de plus en plus complexes. On ressent une attraction, presque une fascination, pour elles et l’on redoute leur chute. Il y a quelque chose de vital dans la manière qu’a Martin Palisse de les manipuler et de jouer avec la gravité. Comme une métaphore de ses propres limites.

 

La vie / 1er septembre 2022 / Claudine Colozzi

Martin Palisse, les balles pour le dire

Dans son spectacle Time to Tell, le jongleur révèle sa maladie, la mucoviscidose. Une mise à nu sans pathos, qui mêle l’intime à l’universel.
En short et débardeur noir, corps svelte constellé de tatouages, il s’avance pieds nus dans un espace ceint par les gradins.
Un dispositif bifrontal éclairé par des néons au sol, grâce auquel il installe très vite le public dans la confidence. Après s’être assis sur une caisse dont il extraira trois balles, l’artiste commence à se raconter.
« J’ai appris à jongler à l’âge de 16 ans et demi, 17 ans. Ça a été une découverte : comme un nouveau départ dans la vie… »
En cette matinée de juillet, au Festival d’Avignon, Martin Palisse présente Time to Tell, sa pièce la plus récente, qui a vu le jour en 2020. Comme le titre le laisse entendre (« le moment de dire »), ce solo est né de la volonté de mettre des mots sur
la maladie génétique dont il est atteint, la mucoviscidose. « Mon entourage a toujours su que j’étais malade, mais j’ai senti la nécessité de partager mon vécu avec le public. »
Après avoir laissé parler les balles pendant des années, l’artiste âgé de 41 ans a décidé de prendre la parole pour la première fois.
« Il s’agit d’une pièce à part dans mon oeuvre, explique-t-il. Elle marque une rupture, tout en poursuivant mon effort esthétique pour faire coexister au plateau un acte “jonglistique”, plastique, physique et abstrait avec une volonté théâtrale, narrative. »
« RESTITUTION SANS ARTIFICE »
Dans cette mise à nu « écrite très vite, en quelques semaines », la rencontre avec le dramaturge David Gauchard a été déterminante. Grâce à une technique d’entretiens
enregistrés liée au théâtre documentaire, ce dernier s’est appliqué à « saisir la verve, la fragilité » du circassien pour « en proposer une restitution brute, sans artifice ». Sur scène se mêlent donc extraits sonores, monologues en direct et jonglage épuré pour donner corps à un magnifique autoportrait d’une heure vingt, traversé de choix musicaux exigeants.
Si rien du rapport à la maladie n’est édulcoré – relations aux soignants, place délicate au sein de la fratrie (un frère épargné par la maladie et une soeur porteuse saine), incidence des traitements dans le quotidien –, il n’est pas question d’en rajouter dans le pathos. L’artiste préfère convoquer l’ironie.
«J’ai toujours fui la condescendance, la complaisance, ne voulant pas être jugé ou considéré à partir de cette particularité.» Dans son compagnonnage intime avec
la maladie, il ressort que l’art du jonglage a été une façon de conjurer la fatalité.
« Jongler est ce qui m’aide à me projeter dans le temps sans craindre la peine de l’existence », clame cet autodidacte revendiqué, qui a « grandi avec une sorte d’obsolescence programmée », ne pensant jamais atteindre la quarantaine. Alors
que son père craignait qu’il finisse « jongleur avec un chien dans la rue », Martin Palisse, initié au début des années 2000 par Jérôme Thomas, l’un des meilleurs représentants de cette discipline, a creusé son sillon d’un jonglage minimaliste profondément virtuose. Grâce à cette création, le jongleur confie avoir cherché à explorer le rapport entre son travail artistique et sa « condition d’homme malade », à analyser comment sa pratique physique a dû se plier aux contraintes d’un corps confronté à ses limites.

Dans Time to Tell, il joint le geste à la parole en repoussant très loin ses capacités respiratoires, livrant une proposition unique qui bouscule autant qu’elle impressionne.

 

Wanderer / 25 juillet 2022 / Thierry Jallet

Être au présent

Suite de nos promenades avignonnaises. Et c’est à la Manufacture que nous nous sommes rendus en cette fin de semaine : le lieu est toujours accueillant et ombragé, la programmation toujours intéressante. Nous y avions vu entre autres l’an dernier Parpaing de Nicolas Petisoff ainsi que Nu de David Gauchard, deux spectacles qui nous avaient vraiment beaucoup plu. Le directeur de la compagnie L’Unijambiste est de retour cette année pour une création des plus singulières avec le jongleur, auteur et directeur du Sirque, pôle national cirque de Nexon Nouvelle-Aquitaine, Martin Palisse. Ce dernier a accepté de « livrer le récit d’une vie, de la vie du jongleur [qu’il est] devenu fuyant ainsi la peine de [son] existence ». Atteint de mucoviscidose, Martin Palisse a souvent insisté sur le fait que pour lui, « jongler est un étirement du temps », un acte à la fois artistique et anthropologique. Un acte fondamentalement humain en définitive, qu’il a souhaité partager à travers une active collaboration avec David Gauchard. Ce dernier, impressionné par « sa rigueur, sa radicalité, sa capacité à émouvoir, à raconter des histoires sans aucune parole », s’est attaché à recueillir ses mots, à « capturer la parole » justement, comme il l’avait précédemment fait avec les modèles à partir des témoignages desquels Nu a été créé. Ce moment intimiste et plein de raffinement nous a énormément touché. Nous en rendons compte ici.
Après un court trajet en bus nous conduisant jusqu’à la Patinoire – le spectacle étant programmé hors les murs, le public est chaleureusement accueilli par David Gauchard en personne qui apporte dès l’entrée, quelques précisions sur l’espace et l’installation des spectateurs. C’est un dispositif bi-frontal qui a été choisi par Martin Palisse lui-même, et qui occupe une partie de la patinoire. À travers cela, il s’agit de représenter de façon stylisée un couloir. Les gradins occupés par le public l’encadrent et le ferment de chaque côté, comme une évocation des innombrables couloirs d’hôpitaux traversés par l’artiste au cours de sa vie, depuis son enfance où sa mucoviscidose a été prise en charge. Les dimensions appliquées offrent la possibilité de déplacements conséquents comme des courses dans un sens ou dans l’autre. Hormis cela, peu d’éléments scéniques utilisés : un micro sur pied – même si, Martin Palisse vêtu d’un short et d’un débardeur noirs, est également équipé d’un micro sur lui – une caisse contenant les balles de jonglage et sur laquelle l’artiste prend place en s’asseyant au début du spectacle. Avec les enceintes, les câbles, les projecteurs, les néons tubulaires au sol ou sur pied, l’ensemble à vue reste très sobre, fermé par un rideau noir au lointain, là aussi suivant les souhaits du jongleur qui « recherche un dépouillement », permettant de souligner seulement la parole mêlée à l’acte jonglistique.
Concentration
Il entre par l’avant. Calme et concentré, il regarde paisiblement le public, va s’asseoir sur la caisse. C’est alors que sa voix s’élève, claire et posée. Sans trémolos, sans effets, il entame son récit. « J’ai appris à jongler à l’âge de seize et demi, dix-sept ans… ». Reconnaissant que l’école ne lui a pas apporté d’épanouissement, ne voulant qu’ « être au présent », il va suivre une trame précise et aborder successivement plusieurs thèmes correspondant aux divers témoignages livrés à David Gauchard : « le rapport physique et psychologique à la maladie, l’incidence sur le rapport aux autres, l’incidence dans le quotidien, l’incidence dans les choix de vie, les postures… » D’emblée, la maladie est partout, essentielle, constitutive de l’existence qu’elle n’a pourtant de cesse de menacer. La maladie emplit le spectacle comme elle emplit l’espace de vie, le champ mental. Elle met aussi à distance de ses semblables. La maladie comme une malédiction. « J’ai compris que j’allais être seul ». Seul à cause d’elle et avec elle. Une malédiction qui finit tout de même par se conjurer dans la démarche artistique.
Rétrospectivement et grâce à la préparation de Time to tell, Martin Palisse reconnaît qu’il a encore « appris » à plus de quarante ans, que la vérité n’est pas toujours à l’endroit qu’on le pense. La mucoviscidose, « c’est un héritage (…) une chance sur quatre de contracter la maladie ». Et il va exposer ces explications en utilisant des balles de jonglages bicolores, blanches et noires, sorties de la caisse sur laquelle il était assis. Il évoque son frère totalement épargné, sa sœur porteuse saine et mentionne au passage avec une grande pudeur, les relations parfois compliquées avec elle. La génétique familiale métaphoriquement ancrée sur le sol du plateau qui la sublime vers un horizon plus lointain.
Martin Palisse face à l’objectif. Devant lui, ses balles
Le regard est attiré par les multiples tatouages qui ornent le corps de l’artiste. Et les deux clowns au mollet gauche, figures emblématiques du cirque, retiennent l’attention. Entre rire et larmes, entre tension et légèreté toujours, ils semblent fixer l’hésitation permanente qui imite en le grossissant, le mouvement du spectacle. C’est à ce moment que le jongleur choisit d’insister sur la distinction entre la fatalité et la contingence des choses qui justifie selon lui qu’il soit malade et pas le reste de la fratrie à laquelle il appartient. « La contingence est l’inverse de ce qui est nécessaire. » Et il fait le parallèle avec les balles qu’il va lancer et qu’il va parfois laisser tomber. Sans nécessité, juste par contingence aussi.
Traversant le plateau, il place un disque sur la platine qui est au sol, comme il le fera plusieurs fois au fil du spectacle. La musique – si importante dans son travail jonglistique – monte. Un grondement puis un son plus aigu. Martin Palisse s’avance vers une des balles qu’il avait laissées au sol, au centre du plateau-couloir. Il la récupère avec les pieds, la positionne solidement sur l’un d’entre eux et marche. Pivotant sur lui-même, il écarte les bras, lance la balle en l’air à la verticale et la récupère du plat d’une main, la faisant ensuite passer d’une main à l’autre. Les mouvements sont maîtrisés, plein d’une grâce singulière pour un moment tout aussi singulier. La musique semble imiter des pulsations cardiaques et rythment les mouvements du jongleur qui ne perd pas la balle des yeux. Sans la moindre nervosité, ne se départissant pas de sa concentration sereine. Une voix off s’élève. La sienne. Un des enregistrements sans doute qui aborde les différents traitements, sans les nommer directement. C’est alors qu’une des balles tombe. Il souffle et la reprend, l’envoie plus haut et souffle encore. Souffler, n’est-ce pas s’arrêter pour mieux continuer ? Une fois encore, c’est aussi être au présent pour envisager un avenir. Et il l’affirme sans détour. « La découverte du jonglage est quelque chose qui a s’est transformé dans mon rapport au futur (…) J’explore le temps dans mes spectacles » Et la fin est – enfin ! – tenue à distance.
Le geste sûr de Martin Palisse
La normalité et sa relativité, les souvenirs d’enfance avec les lourds contrôles médicaux, la condescendance des autres et le fond des yeux où elle se loge, les limitations de nourriture, l’infertilité, la sexualité… Martin Palisse déplie sa narration, nous fait délicatement plonger dans son intimité, sans voyeurisme, sans pathos, sans désir de revanche, sans banalisation non plus. Puis, il y a ce médecin qui reconnaît qu’il y a « des choses dans la vie plus importantes que la maladie ». Il soupire d’aise. « Ça m’a fait du bien d’entendre ça. » Et il danse sur un nouveau morceau dont les premières paroles sont éloquentes. « I don’t give a fuck about that… » Tout est dit. Et alors que l’ombre de son corps au sol reproduit ses mouvements, il se fige soudain, dans une maîtrise parfaite de son art, sans la moindre contingence donc, une de ses balles de jonglage sur le front.
On est surtout frappé par la place des halètements et des souffles dans le spectacle : enregistrés avec la musique ou produits par l’artiste lui-même au terme des moments de jonglage éprouvants par leur intensité, ils se répandent et créent une atmosphère sonore particulière. Le corps en sueur, jusque « dans ses retranchements », le jongleur va au bout de son art, au-delà de la maladie qui ne gagne jamais cette bataille-là. « Quand je dois faire les choses dans la vie, soit je ne les fais pas soit je les fais à fond. » Et la musique monte, Martin Palisse tourne sur lui-même, en souplesse, régulièrement, maîtrisant ses gestes, augmentant sa vitesse. Et il souffle amplement. Toujours, dans un présent qui s’étire.

Alors que le spectacle s’achève, que les saluts – y compris aux propres balles du jongleur – ont été accompagnés d’applaudissements très nourris, on repense au titre du spectacle. Le moment de dire. On perçoit toute la profondeur de la réflexion à la fois artistique et philosophique engagée ici conjointement par Martin Palisse et David Gauchard. Et on se dit que ce moment de confidence d’un artiste accompli, cette forme de « friction entre le récit et la physicalité du jongleur » constitue une méditation joyeuse rejoignant la pensée de Montaigne qui écrit dans les Essais que « tout ce qui peut être fait un autre jour peut être fait aujourd’hui ». Et ce, comme Martin Palisse sans aucun doute, en étant au présent.

 

Télérama / 22 juillet 2022 / Emmanuelle Bouchez

TTT – COUP DE COEUR DU OFF

coup de coeur
Time to Tell
de Martin Palisse et David Gauchard
C’est au milieu du public que progresse plus d’une heure durant Martin Palisse, jongleur depuis vingt-trois ans. Il arpente une scène-couloir d’une extrêmité l’autre, jusqu’à cette platine posée sur le sol où il enchaîne lui-même les disques de techno douce ou de jazz brut. Silhouette ultra fine dans son débardeur noir, il niche au creux de ses bras ses alliées : ses balles de jongle. Objets obsédants – comme pour tous les jongleurs – mais qui sont aussi pour lui le symbole d’une belle victoire sur la malchance : un mauvais tirage au code ADN qui a fait de lui un porteur de la mucoviscidose. À 39 ans, il a décidé de raconter enfin cette histoire. Time to tell…
Alors tout en jonglant à des rythmes différents – et son minimalisme parfois n’est pas le moins spectaculaire –, il avance dans son récit. En voix off, pendant qu’il envoie la balle rouler sur son corps, il décrit à hauteur d’enfant, d’adolescent puis d’adulte ce que la maladie lui a fait. Ce que le regard des autres (parents, amis, pédagogues, soignants, chercheurs) a provoqué en lui. Et comment l’art de la jongle est le seul horizon qu’il guette. Grâce à lui, il tient. Et plus que ça même, dans ce tourbillon final par exemple, où il dépense son souffle. Défi magnifique, geste métaphysique.

 

Politis / 14 juillet 2022 / Anaïs Heluin

Martin Palisse cisèle l’épure

Dans Time to Tell, le jongleur poursuit sa quête du temps et évoque sa maladie.
Dans les spectacles de son Cirque Bang Bang, fondé en 2002, Martin Palisse développe un jonglage minimaliste, où la géométrie des figures est souvent accompagnée par celle de la musique. Depuis Slow futur (2015), qu’il interprétait sur un tapis roulant avec Elsa Guérin, il collabore presque toujours avec le groupe Zombie Zombie, dont l’électro nourrie par des vinyles méconnus accompagne une recherche axée sur le temps, pleine d’une urgence dont l’origine et même l’objet restent toujours mystérieux. En revendiquant son appartenance au courant de l’art abstrait et cinétique, Martin Palisse disait son refus de faire du jonglage le moyen de délivrer un message.
Sa nouvelle création, Time to Tell, a de quoi surprendre au premier abord. Pour ensuite figurer comme une évidence.
Pas l’ombre ni le son d’un Zombie Zombie dans cette pièce présentée dans le Off du Festival d’Avignon, après avoir été jouée notamment au Sirque – Pôle national cirque de Nexon, que dirige Martin Palisse.
Beaucoup de mots en revanche, prononcés tantôt en direct tantôt en voix off par l’artiste qui a fondé son jonglage sur un univers mathématique.
Le monologue, qu’il déploie sur un plateau beaucoup plus simple qu’à son habitude – un simple couloir entouré de néons, au bout duquel trône un tourne-disque qu’il active lui-même –, rompt d’emblée avec le caractère rude, impersonnel de la plupart de ses spectacles. « J’ai appris à jongler à l’âge de 16 ans et demi, 17 ans. Ça a été… Ça a été une découverte : comme un nouveau départ dans la vie. J’étais vraiment… en plus… J’étais à cet âge-là… » introduit-il. D’abord pleine de trous, de ceux qui se creusent à force de silence, la parole de Time to Tell se consolide peu à peu.
Orienté par le metteur en scène, David Gauchard, le monologue clairement autobiographique aborde bientôt un sujet que l’artiste dit lui-même n’évoquer que très peu dans sa vie privée : sa maladie, la mucoviscidose.
Loin de l’évoquer comme une tragédie, il décrit cette pathologie avec laquelle il vit depuis toujours comme « la contingence des choses. La contingence, c’est ce qui aurait pu ne pas être. C’est l’inverse de ce qui est nécessaire[…]. C’est comme les balles que je vais faire tomber dans ce spectacle ».

L’art et la vie, fragile, se livrent à un tête-à-tête sans concession ni afféterie. Dans ce récit, Martin Palisse retrouve ainsi la ligne droite, l’épure qu’il défend depuis ses débuts. Sa recherche sur le temps, qui presse et oppresse, fait avec Time to Tell une grande avancée.

 

L’Oeil d’Olivier / 9 juillet 2022 / Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Martin Palisse, jongleur en apesanteur

À la Manufacture, Martin Palisse conte sa vie dans un autoportrait délicatement ciselé par David Gauchard. Avec une belle poésie, il raconte son parcours, les limites qu’il repousse sans arrêt. Toujours sur un fil, il entraîne les spectateurs dans les coulisses d’un cirque, celui d’un destin incroyable, le sien. Rencontre.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
Difficile de dire si c’est le premier, mais certainement le plus fort encore présent dans ma mémoire. C’était dans un cirque traditionnel, au Puy en Velay, une voltigeuse à la barre russe (discipline rare) qui dans un spectacle où rien n’était beau, elle avait la grâce… Je me souviens très exactement qu’elle était la seule artiste en piste qui ne regardait pas le public avec un sourire niais, tellement elle était concentrée. Elle volait littéralement. J’ai encore le souvenir de cette sensation qu’elle transmettait.
 
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? 
Lorsque j’ai appris à jongler, j’ai su quasi immédiatement que je ferai ça toute ma vie et que je m’accomplirai ainsi. Il n’y avait rien de réfléchi. Que de l’instinct. Ensuite, j’ai vu le spectacle Hic-Hoc de Jérôme Thomas. Ce fut mon premier choc esthétique.
 

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être jongleur, artiste de cirque, metteur en scène ? 
Je ne pense pas avoir réellement choisi, je garde toujours l’idée que le jonglage m’a choisi. Mais je sais que quand je jongle, j’ai cette sensation rare que mon corps et mon esprit ne font qu’un et travaille à haut niveau. C’est une forme d’extase.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 
Le premier, c’était à l’école, je devais avoir 7 ou 8 ans…. On devait fabriquer notre costume et moi, je m’étais confectionné un scaphandrier en carton recouvert d’aluminium… galère pour se mouvoir sur scène…mais efficace visuellement au milieu de ceux de mes camarades qui avait en grande majorité choisis Zorro ou des trucs du genre.
Ensuite mon premier spectacle en tant que jongleur, si j’y repense, je me dis que j’aurai dû me passer de le faire celui-là ! 
 

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 
Dur de n’en retenir qu’un, alors j’en dirai deux : Enfants de Boris Charmatz à Avignon et Sad Face / Happy Face de Jan lauwers au théâtre Sylvia Monfort.

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
Clara Villechaise, Halory Goerger, David Hermon alias Cosmic Neman, David Gauchard, Jérôme Thomas et Peggy Donck. Toutes ces personnes m’ont fait devenir qui je suis.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? 
Le monde et toutes les injustices qu’il contient me révolte, parfois, j’ai la sensation que mon travail me permet de ne pas sombrer. C’est un sens à la vie qui n’en a pas réellement.

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
Les saisons, tous les cycles de la vie, de la nature, les contradictions humaines. J’aime observer les antagonismes quand j’en remarque.

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
C’est une forme de combat, je suis malade et je sais que c’est mon antidote. J’ai beaucoup pratiqué le judo, et rentrer sur scène est presque comme rentrer sur un tatami. C’est transcendantale.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
Dans tout mon corps, je ne peux pas le découper quand je jongle, c’est d’ailleurs en partie pour cela que je considère ma pratique comme totalement indispensable.
 

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
Par-dessus tout la musique et les musiciens sont essentiels dans mon travail…. Alors ce sont des noms de musicienn.e.s/groupes qui me viennent : God speed you ! , Colin Stetson, Georges Theodorakis, Robert Aiki Aubrey low… Mais il est vrai qu’en danse, j’aimerai travailler avec le chorégraphe italien Alessandro Sciarroni.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
Jouer dans un film de Werner Herzog.

 

i/o Gazette / 8 juillet 2022 / Mathieu Dochtermann

Avec « Time to Tell », Martin Palisse et David Gauchard signent un spectacle épuré, qui ménage une place considérable à la parole du premier, qui se raconte par le verbe plus que par son « acte jonglistique ». C’est un témoignage de vie qui coule en un long flot continu, tantôt pré-enregistré, tantôt confié au micro. Le jongleur raconte une existence qu’il questionne à l’aune de “l’héritage” dont il est porteur : la mucoviscidose. Au-delà des rapports de famille, au-delà de la froideur du personnel médical, c’est le rapport de l’artiste avec son corps qui se fait entendre, la façon dont son existence entière aurait pu être déterminée par son ADN. Martin Palisse dit comment la vie et la joie se font une place, comment sa pratique physique s’accommode de cette contrainte. Au bout de cette mise à nu, l’enjeu est de faire la part de la “fatalité”, que l’artiste récuse en faisant la preuve de sa liberté : c’est le sens de son jonglage, de ces gestes qui se font à rebours de leur impossibilité. La mise en scène dépouillée, les lumières au néon, resserrent l’attention sur le discours, sur le corps, sur le souffle, pour créer un face à face intense entre celui qui livre son intimité et le public qui la reçoit.

 

La Terrasse / 22 juin 2022 / Agnès Santi

AVIGNON 2022 – GROS PLAN

Martin Palisse révèle au cours de ce spectacle le combat qu’il mène depuis l’enfance contre la mucoviscidose. En collaboration avec David Gauchard, il transcende la lutte, il célèbre le jonglage et le présent du plateau.   

Comme l’indique son titre, cette pièce marque une rupture, actée par l’avènement d’une prise de parole personnelle. Une prise de parole dévoilant l’intime, qui en cela semble contredire l’abstraction et l’attachement aux structures géométriques et musicales qui caractérisent la démarche artistique de Martin Palisse. Et cependant, loin de toute volonté de s’exposer et de raconter son histoire, cette prise de parole dépasse le cas Martin Palisse pour rendre compte d’enjeux universels, liés au rapport au temps et à la finitude, liés à la pratique du jonglage, qui de fait inscrit l’artiste dans le présent, dans le faire. « Jongler est pour moi un étirement du temps, une pratique me permettant de me projeter dans le temps sans craindre la peine de l’existence » dit-il.

Créer, c’est fuir les peines de l’existence

Car ce que l’artiste révèle dans ce spectacle, c’est qu’il est atteint depuis toujours de la mucoviscidose, une maladie génétique qui transforme le quotidien en combat permanent, même si heureusement la science avance. Le metteur en scène David Gauchard l’a aidé en capturant sa parole, en mettant en scène sa restitution, en direct ou par voix enregistrée. Martin Palisse a choisi un dispositif bi-frontal, ménageant un espace de jeu semblable à un couloir d’hôpital, entre obscurité et surexposition. Le jongleur remarquable qu’est devenu Martin Palisse impressionne, il offre un spectacle épuré, intense, millimétré, qui s’élève contre le fatalisme et le handicap. Laissant de côté autant que faire se peut la lutte, il jongle, il célèbre par son souffle et son langage la vie autant que la création.

 

Le Monde / 4 mars 2022 / Rosita Boisseau

La thématique de l’intime s’infiltre sous le chapiteau

Dans la lignée d’artistes comme la contorsionniste Angela Laurier et la jongleuse Phia Ménard, une nouvelle génération ouvre les vannes.
La ligne est encore fine mais elle s’élargit. La problématique de l’intime, territoire enfoui et mouvant, plancher de notre identité, s’infiltre depuis quelques années sous le chapiteau. Incompatible avec le cirque, ses prouesses, ses acrobaties ? Sans doute, mais ôtons l’armure de la virtuosité, écartons les couches de muscles. Apparaissent des corps blessés, vulnérables, qui se risquent à faire le travail autrement qu’en s’appuyant sur les compétences techniques. « Alors que le théâtre et la danse se sont depuis longtemps emparés de la question, il y a aujourd’hui de plus en plus de jeunes acrobates qui commencent à oser parler d’eux au plus profond, de ce qui est difficile à dire, souvent douloureux, et qui les constitue », commente Yveline Rapeau, directrice du festival Spring.
 
Dans son solo intitulé La Dimension d’après, Tsirihaka Harrivel parle de sa chute de 8 mètres de haut lors d’une représentation du spectacle Grande –, en 2017. Il revit son accident, sa perplexité sidérée, comme un film au ralenti.

Dans un autre registre, Alice Barraud, voltigeuse, gravement mitraillée aux bras lors des attentats du 13 novembre 2015, tisse le récit de son retour difficile sur la piste dans MEMM. Au mauvais endroit, au mauvais moment. Quant à la question du genre, elle est convoquée, notamment, dans la pièce Dicklove, par l’acrobate au mât chinois Sandrine Juglair, qui joue « une femme qui est un homme qui veut devenir une femme… » Elle sera à l’affiche du Festival d’Avignon dans le cadre de Vive le sujet !, avec Julien Fanthou, alias Patachtouille, du cabaret de Madame Arthur.

Jongleur et directeur depuis 2014 du Sirque, pôle national des arts du cirque de Nexon, en Nouvelle-Aquitaine, Martin Palisse prend pour la première fois la parole dans Time to Tell, comis en scène avec David Gauchard, à propos de sa maladie, la mucoviscidose. «  J’ai 41 ans, confie-t-il. Lorsque j’étais enfant, on avait dit à mes parents que je ne dépasserais pas 20 ans, j’ai ressenti le besoin essentiel de raconter en jonglant la réalité de mon corps. Je me dévoile complètement en retrouvant une liberté de créer jamais expérimentée. Elle va me permettre de continuer dans cette voie, en rappelant que le cirque n’est pas qu’une discipline sportive ».

 

Ouest France / 9 février 2022

S’accrocher aux choses, pour se sentir vivant. Profiter, pour ne pas laisser le temps filer. Se défier, juste pour exister.

Plutôt que d’attendre que l’orage passe, Martin Palisse a décidé d’apprendre à danser sous la pluie ou plutôt sous les balles… Accompagné à la mise en scène par David Gauchard, il nous propose un spectacle de jonglage, puissant et sensible lové au cœur d’un dispositif bi-frontal. Avec technique, poésie et virtuosité, il jongle entre paroles et balles. Parce que le jonglage est son langage, celui qui lui permet d’étirer le temps. Parce que du temps, Martin n’en a pas. Alors, il vit chaque seconde en courant des sprints au ralenti. Time to tell est le portrait intime et captivant d’un jongleur mélomane. C’est un acte de résistance, de combativité et d’espoir mais surtout une incroyable preuve de créativité face à la maladie. Aussi attachant que fascinant !

 

Mag Centre / 21 février 2022 /Elodie Cerqueira

« Le jongleur ne doit pas se contenter de montrer ce qu’il sait faire, il doit montrer ce qu’il est ! »

La Scène nationale d’Orléans a accueilli le jongleur Martin Palisse les 15, 16 et 17 février derniers. Time to tell est un spectacle singulier et émouvant, mis en scène avec la collaboration de David Gauchard, où l’artiste prend la parole pour raconter sa maladie. Une gracieuse rencontre entre le jonglage et le théâtre.
Martin Palisse est jongleur et auteur. Il s’associe dans les années deux mille à Elsa Guérin pour créer la compagnie Cirque Bang Bang. Ensemble, ils rompent les codes et donnent au jonglage une dimension chorégraphique et théâtrale. Depuis 2014, Martin est directeur du Sirque, Pôle national Cirque de Nexon en Nouvelle-Aquitaine. Si depuis son adolescence le jonglage a pris toute la place dans sa vie, la mucoviscidose, elle, le suit depuis sa naissance. Mais plus qu’un frein, elle est devenue une force et il se livre à son public sans tabou aujourd’hui, avec Time to tell (Il est temps de raconter, en français) : ses allers et retours entre le domicile et l’hôpital, ses échecs scolaires, ses difficultés familiales, le prix de son traitement… il se met à nu mais ne livre pas tout et « garde un jardin secret ». Pour Magcentre, il se dévoile un peu plus.
Time to tell est une pièce que vous avez pensée à l’automne 2019. Pourquoi avoir attendu vos 40 ans pour partager votre histoire avec votre public ?
Martin Palisse : Depuis mes 20 ans, je savais que j’en parlerai sur scène. Il me fallait atteindre une certaine maturité, attendre le bon moment. Tout artiste qui crée, travaille avec ce qu’il est, pour que quelque chose transpire, pour être surprenant. Il faut qu’il y ait une véritable offrande.
Et ce que vous nous offrez, c’est votre histoire. Est-ce une confession ?
M.P. : Non ce n’est pas une confession, c’est le temps d’une affirmation. Mon entourage a toujours su que j’étais malade mais je veux désormais le partager avec le public. Ce que je déteste le plus, outre l’injustice, c’est la condescendance. Je ne veux surtout pas susciter de pitié, je veux simplement partager mon vécu. Le jongleur ne doit pas se contenter de montrer ce qu’il sait faire, il doit montrer ce qu’il est. Dire sa vérité à voix haute c’est l’assimiler, la dépasser. Mais plus que la maladie, c’est le jonglage qui fait ma vie.
Ce spectacle a été possible grâce à David Gauchard, avec qui vous l’avez mis en scène…
M.P. : David, c’est une super rencontre. Quand je lui ai parlé de mon projet c’était fluide, pourtant je n’avais jamais pris la parole sur scène. J’adore le théâtre et nous avons fait un super travail ensemble, il y a une véritable osmose entre nous et je souhaite poursuivre ce travail avec lui.
Songez-vous déjà à un nouveau spectacle ?
M.P. : Pour l’instant nous sommes en tournée avec Time to tell. L’agenda 2022 est plein et nous avons déjà des dates en 2023 mais nous commençons à y réfléchir. Je continuerai à me raconter, peut-être sous forme de dialogue, avec un(e) autre artiste pour me donner la réplique. Toujours avec cette dimension introspective de sorte d’aborder, entre autres, mes relations intrafamiliales et de rendre le sujet universel.
Vous faites allusion à votre rupture avec vos parents lorsque vous avez décidé de quitter définitivement le lycée ?
M.P. : Oui, c’était une période difficile. Dire qu’on quitte l’école pour jongler n’est pas facile à entendre. Nous étions dans les non-dits. Ils supportaient mal mon manque de discipline. Depuis le dialogue est rétabli même si tout n’est pas vraiment réglé.
Vous dites ne pas avoir un bon souvenir de votre scolarité. Pourquoi ?
M.P. : J’ai rarement eu des instit’ qui comprenaient la maladie. Il ne faut pas croire que les gens sont toujours gentils. Et le système est injuste. J’avais souvent besoin de sortir de classe, à cause de mon état de santé, mais les profs n’étaient pas très compréhensifs et ne me laissaient pas sortir. J’adoptais donc un comportement détestable pour me faire virer. Jusqu’à me faire renvoyer des établissements. En échec scolaire, malgré des compétences, notamment en maths, j’ai arrêté les cours.
Et vous jonglez donc depuis vos 17 ans…
M.P. : J’ai beaucoup pratiqué de sports mais il me manquait quelque chose d’intellectuel. Avec le jonglage, le corps et la pensée sont investis. J’ai commencé à me débrouiller par moi-même. Ma grande chance est ma rencontre avec Jérôme Thomas, un des cinq plus grands jongleurs du XXe siècle. Nous avons eu un fort rapport de maître à élève, avec l’amour de la transmission du savoir.
Vous dites ne pas ressentir de colère, ni de sentiment d’injustice. Pourtant vous êtes empêché dans votre pratique par la mucoviscidose ?
M.P. : Je fonctionne avec mon intuition. J’ai appris à m’écouter et je connais très bien mon corps. La douleur physique nous apprend beaucoup. J’ai énormément souffert jusqu’à l’adolescence, moins maintenant, grâce aux traitements. Tous les artistes cherchent des contraintes pour avancer, cette maladie m’impose des contraintes et influence ma façon de jongler. Et je suis fier de ce qu’elle a donné, un spectacle unique par la singularité de ma pratique. Et c’est une forme de spectacle qui parle à la jeune génération.
Et toute génération confondue, vous partagez votre intimité avec le public jusqu’à avouer votre phobie des aiguilles. Pouvez-vous nous expliquer ?
M.P. : Un spécialiste m’a expliqué que bébé, j’étais piqué sans anesthésie, sans prise en compte de la douleur. On pensait à l’époque que les nourrissons ne souffraient pas ! Un traumatisme ancré que je tente de dépasser en contrôlant ma peur, mon corps. J’apprends à ne pas crisper mes muscles quand on me pique. Je me soigne avec les tatouages qui n’ont pas toujours de signification particulière mais qui m’obligent à affronter ma phobie…
Vous dites être né avec une obsolescence programmée. Pensez-vous à la mort ?
M.P. : Je ne me pose jamais la question de la mort. Les gens qui focalisent sur la mort sont les gens qui ne prennent pas le temps de bien vivre. J’aimerais pouvoir choisir ma mort. Une des prochaines évolutions politique et sociale sera de décider comment disparaitre. Je ne veux pas finir assisté et dépendant à cause de mes douleurs.
Et si vous ne pouviez plus jongler ?
M.P. : Je ne me vois pas faire autre chose, c’est le travail d’une vie. Mais si dois arrêter de jongler alors j’achèterai un hôtel en Grèce, pour y accueillir mes proches et toute sorte de gens !

 

dansesaveclaplume.com / 2 janvier 2022 / Amélie Bertrand

Bilan 2021 de la Danse : le Top 5 de la rédaction, Top 5 d’Amélie Bertrand

Un Top 5 de 2021 est bien difficile à faire pour moi, tant les spectacles n’ont pas été franchement présents dans mon agenda. Une première depuis bientôt quinze ans… et j’espère la dernière ! Il y eut d’abord ce long hiver de couvre-feu, puis un heureux événement arriva chez moi à la fin du printemps, le jour de la réouverture des théâtres, décalant quelque peu ma rentrée Danse. Moins attendu et dont je me serais bien passée, un confinement Covid + me priva enfin des spectacles de Noël. Bref ! Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Mais quelques beaux rendez-vous de danse et de cirque, en live ou par écran, ont marqué mon année 2021.
1- Time to tell de Martin Palisse et David Gauchard
Ce long hiver 2021 fut ponctué par quelques spectacles réservés aux professionnel.le.s. Si l’on comprend l’intérêt pour les troupes de les montrer tout de même (visibilité, aboutissement du travail), s’est posé la question, pour nous journalistes, de comment en parler. Comment parler de spectacles que le public ne pourra pas voir avant plusieurs mois, qui seront sûrement transformés d’ici là ? Comment parler de spectacles se jouant devant une salle vide ? Cette saison nous aura fait pleinement (re)prendre conscience que le spectacle vivant n’est pas juste une proposition artistique, mais c’est aussi l’odeur d’un théâtre, le murmure du public, l’électricité dans l’air. Il y avait justement tout cela au Festival Circa à Auch, cet automne, rendez-vous incontournable du cirque contemporain, où j’ai découvert cette année le solo Time to tell de Martin Palisse et David Gauchard. Martin Palisse est jongleur. Il est aussi atteint de mucoviscidose. Pour la première fois, l’artiste raconte sa maladie en scène, ponctué par son talent fascinant du jonglage où tout est dans la précision, le grain de poussière, le souffle. Martin Palisse parle de lui, de sa maladie et ses difficultés. Mais aussi comment la science lui permet non seulement de vivre – il a 39 ans – mais aussi de vivre mieux. Ses dernières paroles du spectacle résonnent au diapason de cette année à venir : « La science est là. Il n’y a pas à y croire ou à ne pas y croire. Il y a à lui faire confiance ».
1 – Time to tell de Martin Palisse et David Gauchard (Circa)
2 – The Barre Project de William Forsythe
4 – Les Autres de Kader Attou
5 – Roméo et Juliette de Rudolf Noureev avec Mathias Heymann et Myriam Ould-Braham
2 – Le Lac des Cygnes de Florence Caillon – Compagnie L’Éolienne

 

io Gazette / 3 novembre 2021 / Mathieu Dochterman

CIRCA : le cirque contemporain riche de sa diversité

(…) Le paroxysme du dialogue entre spectaculaire et réalité est sans doute atteint quand l’écriture a une dimension autobiographique, et que l’artiste se présente au public comme portant sa propre histoire. Deux des meilleurs spectacles de cette édition, sinon les meilleurs, étaient dans cette veine. “Time to tell” de Martin Palisse et David Gauchard met à l’épreuve le corps du premier, tandis qu’il explique au public comment sa vie et sa pratique artistique doivent composer avec la maladie qui l’atteint, la mucoviscidose. Une proposition brute, courageuse, sincère, qui spectacularise un vécu pour l’offrir à l’empathie du public. Dans ce genre de spectacle, tout tient à la capacité de l’interprète de se mettre à nu, de trouver un endroit de dépouillement où les accents de vérité vont, justement, créer une résonance chez les spectateurs. (…)

 

Chroniques culture / 17 octobre 2021 / Odile Cougoule

(…) C’est le cas avec Time to Tell création 2020 du jongleur Martin Palisse et du metteur en scène David Gauchard. Banal de dire que ce spectacle est libérateur pour l’artiste. Banal d’écrire les balles l’ont aidé à vivre, les balles l’aident à dire. Mais il s’agit bien pour Martin Palisse, que l’on connaît depuis quelques années à travers ses créations, de se livrer et de dire ce qui a constitué sa vie : la maladie (la mucoviscidose), le jonglage et le temps qu’il sait « compté »… Le calme et la patience de l’artiste nous saisissent tout au long du récit, la patience avec ses balles qui tombent parfois, avec cette vie qui lui échappe. Être malade s’est appréhender au quotidien l’art de la chute, la sentir dans son corps et jouer avec elle une partie difficile…

Dans le vaisseau structure en dur qui a remplacé le chapiteau fondateur du cirque à Nexon, dont la définition recrée un espace théâtral plus traditionnel, le public est installé en bi-frontal libérant un espace central, un couloir entouré de néons. Tee shirt et short noirs, tatouages et oreillettes, assis sur une boite Martin Palisse 40 ans, face au micro, commence son récit, celui de sa vie. Le dispositif est simple, il n’est pas question ici de démonstration technique -3 balles accompagnent cet autoportrait et un jonglage minimaliste se développe sur la durée- ni de construction d’un univers esthétique dernier cri animé par une musique électro ou un DJ à la mode. Coté son, l’association platines – vinyles disposés par terre  – micro suffira. Et pourtant le jonglage est là, balles blanches, balle noire (sa maladie ?) le corps se meut dans une précision articulaire remarquable. Les allers – retours sur la piste toute en longueur se succèdent, tout en jonglant l’artiste raconte, l’artiste et sa famille, l’artiste et ses voyages, l’artiste et ses médicaments, les visites à l’hôpital…Les balles n’obéissent pas toujours, mais un équilibre sur une jambe et tout se remet en place… Jongler avec elles, avec la maladie, avec le temps, accepter cet entre deux du connu – inconnu !

Le jonglage impose le temps de l’autre « la balle », semble nous dire Martin Palisse comme la maladie oblige à accepter son temps à elle que nous ne maitrisons pas. Leçon de vie ?  Non juste un constat « tant que je jongle je suis vivant ».

Ce récit, diffusé à partir d’enregistrements ou porté par la voix de l’artiste, n’a rien d‘impudique, il retrace avec honnêteté un parcours dans un monde que nous connaissons mal, celui de la maladie, du malade et de l’hôpital; un parcours aussi exigent qu’un parcours d’artiste avec toutes ses attentes, ses surprises et ses déconvenues. Un parcours au cours duquel se pose sans cesse la question du nécessaire et du contingent…

La musique est là pour nous guider dans cette mise à nu. De vinyles en vinyles on découvre ses passions : Quentin Rollet – Thierry Muller, Throught the looking glass, les sons pop rock des années 70…  La grande course sur du free jazz nous émeut.

David Gauchard auteur de la mise en scène a  travaillé en étroite collaboration avec  Martin Palisse et leurs entretiens enregistrés forment la trame du spectacle. Sa présence aux représentations est là pour canaliser le récit. Dans ses oreillettes Martin s’entend raconter,  exercice peu facile mais fondateur d’une vérité au plateau.

Avec ce spectacle on comprend mieux la froideur de ce corps tout en tensions dont jusqu’à présent le mélange d’habilité et de maladresse étonnait et la distance et la retenue qui ne sont en rien des postures.

Avec Time to Tell Martin Palisse et David Gauchard dépassent le principe de la simple autofiction pour réveiller en chacun de nous des parcelles de vie porteuses de sens.

 

La Terrasse / 26 septembre 2021 / Sarah Meneghello

Radical mais nécessaire, cet acte de jonglage est un récit de vie, celle d’un homme fuyant la peine de son existence. Il est mis en scène par David Gauchard, qui a su capturer la parole, rare, de Martin Palisse.

Assis, micro à la main, ce dernier se livre. Sa parole enregistrée prend aussi le relais du live. Pour la première fois, il aborde son rapport physique à la maladie, l’incidence de la mucoviscidose dans ses choix de vie, sa pratique du jonglage, son rapport aux autres. Mais Martin Palisse n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort. Dans un couloir étroit, blanc, dans l’obscurité ou surexposé, il avance, coûte que coûte. Il détaille les contingences jusque dans les moindres détails : symptômes, bilans, médicaments, phobie des aiguilles, regards condescendants… L’envie de tout envoyer balader est trop forte. Comment donc envisager le futur ? Les balles tombent. Qu’importe ! Il maîtrisera l’immobilité. Il a peur de la mort ? Plus le temps de négocier !

Urgences

Martin Palisse ne cesse d’explorer le rapport au temps. Endurante, lente, puissante, sa prestation – innovante et extrêmement physique – témoigne de son combat. De l’urgence de créer et de témoigner aussi. Devenu une langue, son art relie Martin Palisse à la vie. C’est son moteur. D’ailleurs, le spectacle s’appuie beaucoup sur deux actions du corps simultanées : marcher et jongler. L’ensemble de son œuvre est aussi intimement lié à la musique (minimaliste, rock, électronique) comme support premier de son discours jonglistique : rigoureux, souvent épuré. Entre les séquences, changer le disque sur la platine permet de souffler, autant lui que nous, car l’épreuve est partagée. Si l’artiste se dévoile, il ne laisse aucune place à l’émotion. Froide, l’approche s’appuie sur un dispositif clinique : des néons dessinent efficacement l’espace et les contours de cet homme, dans une tension permanente, en osmose avec ses balles. Entre résignation, révolte et adaptations, sa musique intérieure, sa voix blanche, sa respiration accompagnent ce parcours jalonné de lignes, courbes et motifs géométriques. L’aspect répétitif des mouvements hypnotise, jusqu’à l’acte physique libérateur et sauvage. Le particulier accède à l’universel. A bout de ses forces, Martin Palisse avoue avoir foi dans la science. Quoi qu’il en coûte.

 

Les Trois Coups / 18 août 2021 / Léna Martinelli

Interprète, auteur et metteur en scène, Martin Palisse est aussi cofondateur de la compagnie Bang Bang. Premier artiste nommé à la direction d’un PNC en 2014, il a marqué l’art de la jonglerie, entre ses collaborations remarquées avec Jérôme Thomas et ses propres créations, toutes originales. Le festival permet souvent d’assister aux premières de sa dernière création.
Slow futur menait ses interprètes dans un tunnel temporel au bout duquel il leur fallait lutter pour comprendre et résister.
Time to tell propose une autre expérience, tout aussi radicale. Pour la première fois, Martin Palisse aborde, de façon explicite, son rapport physique à la maladie, son incidence dans ses choix de vie, sa pratique du jonglage, son rapport aux autres et au temps. Un temps qu’il ne cesse d’explorer depuis quelques années et l’on comprend pourquoi.
Ce récit de vie, celle d’un homme fuyant la peine de son existence, est mis en scène par David Gauchard, qui a su capturer la parole rare de Martin Palisse. Ce dernier distingue les contingences de la nécessité, car s’il détaille symptômes, traitements, angoisses, il relève surtout ce que la mucoviscidose lui a appris.
Endurante, lente, puissante, sa prestation jonglée – extrêmement physique – témoigne de son combat. Aussi de l’urgence de créer et de témoigner. Car au-delà de son histoire personnelle, le sujet est universel : comment vivre de telles épreuves ?

 

Le Populaire du Centre / 14 août 2021 / Muriel Mingau

Multi-Pistes – Emotion forte en perspective avec le spectacle « Time to Tell » à Nexon
Time to Tell, création entre théâtre et cirque de Martin Palisse et David Gauchard, ne peut laisser indifférent. L’étape de travail qui en a été donnée l’été 2020, était tout simplement magnifique, bouleversante. Ce spectacle finalisé est à voir les 14 et 15 août à Nexon.
En 2020, pour cause de covid, les festivals d’été étaient annulés. Le Sirque, pôle national, a toutefois réussi à proposer des formes autorisées. Alors, Martin Palisse, jongleur, patron du Sirque, et David Gauchard, metteur en scène, avaient réussi à donner une étape de travail de Time to Tell.
Vue alors, cette présentation laissait l’impression d’un spectacle abouti, beau et très émouvant. Dans ce solo entre jonglage et théâtre, Martin Palisse se dévoile. Comme le titre l’indique, il était temps pour lui de prendre la parole.
Dans ce spectacle, il jongle bien sûr. Il se raconte aussi. Il raconte son art, son approche du jonglage, intense et originale dans son minimalisme virtuose. Il raconte aussi « la maladie qu’il porte en lui », la mucoviscidose. « Elle a conditionné tous mes choix de vie, y compris artistiques », confie-t-il.
Dans ce solo, on le suit dès l’enfance, obligé à grandir avec elle tout en restant animé par une puissante appétence de vie. En piste, il devient aussi acteur disant un texte. C’est aussi cela “prendre la parole”. « J’ai eu la chance d’être merveilleusement dirigé par David Gauchard ».
Le metteur en scène le précise : « les deux grands axes du spectacle sont donc le jonglage et la maladie. Toutefois, il était hors de question de provoquer un apitoiement, une condescendance. Nous avons voulu emmener le propos vers l’universalité, en partant de l’intime, de cette forme de mise-à-nu de Martin ».
Cet objectif était atteint dès la première présentation en 2020. Le spectacle transmettait alors un propos intemporel, se donnant avec grâce, élégance, délicatesse. L’exigence esthétique était porteuse d’intense émotion.
Réjouissant
Depuis leur rencontre voici quelques années, Martin Palisse et David Gauchard suivaient leurs travaux respectifs en se sentant une affinité. Un jour, le jongleur a osé proposer au metteur en scène une création commune. Martin Palisse savait qu’il s’y mettrait en danger. Il le voulait. David Gauchard a immédiatement songé à enregistrer des entretiens où Martin Palisse se raconterait. Puis, ces interviews ont été retraitées pour devenir le texte du spectacle.
Suite à la réussite de l’étape de travail donnée en 2020, il est réjouissant de savoir qu’il va être possible de re(voir) cette création très forte dans sa forme et son propos.

 

Télérama Sortir / 7 au 13 avril 2021 / Stéphanie Barioz

TTT
« Time to tell », la créativité du jonglage face à la maladie

RDV CULTURE – Avec technique, poésie et virtuosité, le circassien Martin Palisse raconte sa maladie, la mucoviscidose, dans un spectace de jonglage contemporain. Un portrait puissant et intime.
Martin Palisse, artiste fascinant, jongleur, cofondateur du Cirque Bang Bang (une nuit sur terre,Post, BodyNobody…), dirige Le Cirque, pôle national des arts du cirque à Nexon dans le Limousin. Dans cette création de 2020, réalisée avec le metteur en scène David Gauchard, il raconte son rapport à la maladie, la mucoviscidose, sa vie de circadien, sa recherche sur le temps, le futur en particulier. Il jongle avec la parole qui porte son récit et quelques balles, parce que le jonglage est son langage. Time to tell dit la résistance, la combativité, l’espoir et surtout l’incroyable créativité face à la maladie. Un spectacle puissant qui rappelle que le jonglage contemporain explore le monde, bien au-delà de la technique et de la virtuosité. Captivant.

 

Sceneweb.fr / 14 novembre 2020 / Anaïs Heluin

Martin Palisse jongle comme il respire

Accompagné à la mise en scène par David Gauchard, le jongleur Martin Palisse joint la parole au geste dans Time to tell. Il dit sa maladie, la mucoviscidose. Il livre ce qu’elle a fait à son art et à sa vie. Fort, juste, cet autoportrait interroge l’essence de l’acte artistique, son urgence.
Le jonglage, pour Martin Palisse, est un art qui se déploie dans des espaces contraints. C’est une discipline qui se bat avec des dispositifs qui ne veulent pas d’elle, qui manquent toujours de la faire disparaître. Et qui y parviennent parfois. Le cercle, élément naturel de nombreux circassiens – malgré la raréfaction des chapiteaux –, n’est pas pour lui une évidence. La balle, son jeu contre la force de gravité, reste toujours à conquérir. De même que la piste que, depuis Futuro antico (2019), il occupe seul, avec une évidente volonté d’en découdre avec le temps. Avec un désir de toucher à l’essence d’une discipline dont il fait toujours ressentir l’étrange, la part de gravité, voire de trouble qui peut se cacher derrière une apparente légèreté.
Time to tell, dont la création devait avoir lieu du 11 au 15 novembre à Lyon aux SUBS – c’est à l’occasion de filages organisés à ces dates pour quelques professionnels que nous avons eu la chance de voir la pièce dans son état quasi-final –, où elle est par bonheur reportée du 2 au 6 février 2021, s’inscrit pleinement dans cette quête d’un jonglage minimaliste qui touche à de très grandes questions. En l’occurrence la maladie, la vie, la place de l’art dans celle-ci et le temps, toujours lui.
Dans cette pièce qu’il a demandé à David Gauchard de mettre en scène, le jongleur fait même davantage que poursuivre la recherche qu’il mène depuis son premier « acte jonglistique » – hérité de son maître Jérôme Thomas, il préfère ce terme à celui de jonglage –, il en livre une partie du sous-texte. Cela par un moyen qu’il a déjà employé aux côtés de l’inclassable Halory Goerger dans leur Sujet à vif Il est trop tôt pour un titre créé au Festival d’Avignon en 2016 : la parole. Comme Jérôme Thomas dans I-solo (2018) ou Johann Le Guillerm dans Le Pas Grand Chose (2017), l’artiste joint le mot au geste après des années de silence. Comme il le fait aussi depuis 2014 en tant que directeur du Sirque, Pôle National Cirque de Nexon dans le Limousin, il participe ainsi d’une mise au point du nouveau cirque avec lui-même. Il dit la nécessité de le relier à d’autres formes et disciplines, et d’y amener de la pensée et de l’intime.
De la pensée par l’intime : dans Time to tell, c’est à un sujet très personnel que s’attaque Martin Palisse : la maladie qui l’accompagne depuis sa naissance : la mucoviscidose.
Pour cette mise à nu, l’artiste renonce à ses imposants dispositifs. Mais il en garde l’idée : dans le couloir entouré de néons qui lui tient lieu de piste, on peut voir la trace du tapis roulant de Slow Futur (2015) conçu et interprété avec Elsa Guérin, ou plus lointainement de la dalle lumineuse de Futuro antico. Il se sépare aussi de son fidèle complice, le musicien bricoleur Cosmic Neman, pour ne garder qu’un symbole de son rapport fort à la musique : un tourne-disque, qui diffuse aussi à plusieurs reprises des enregistrements réalisés par Martin Palisse et David Gauchard. Des bribes de récit sur l’art et la maladie, qui complètent ceux que le jongleur dit avec une voix posée, neutre, tout en arpentant son couloir avec à la main ses balles blanches et noires. Jamais plus de trois à la fois : l’essentiel. Trois comme le nombre d’enfants qu’ont eu ses parents : lui, atteint de la mucoviscidose, sa soeur porteur sain, son frère non malade. C’est par là que commence Time to tell. Avant de s’en aller beaucoup plus loin.
La peur, la douleur, le sentiment d’étrangeté, la fatigue devant la condescendance, mais aussi la résistance à toutes ces peines, le goût du dépassement, de la radicalité, de la joie… À travers les différents épisodes de sa vie qu’il raconte avec une écriture au-delà des affects, Martin Palisse soulève tous les paradoxes qu’a fait grandir en lui la maladie. « Il va de soi que la démarche de se raconter n’a d’intérêt que par le fait d’aborder des sujets qui me dépassent. L’ensemble de ce récit devra avoir une résonance, un écho au-delà de ma personne. Il y a nécessité à se confronter à des questions sociétales actuelles », dit-il. Annie Ernaux, figure de proue de l’autofiction en France, aurait pu prononcer de tels mots. Leurs démarches se ressemblent. Comme celle du roman La Place, l’écriture de Time to tell est « au couteau ». L’acte jonglistique de Martin aussi. Entre deux fragments de récit, l’artiste se livre à des déplacements, à des gestes simples, jonglés ou non, dont la répétition le place au bord de la transe. Et donc au seuil de l’asphyxie, signe non pas d’un art et d’un désir à bout de souffle, mais d’un art combattant, prêt à lutter contre toutes les fatalités.

 

L’Oeil d’Olivier / 14 novembre 2020 /Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

L’autoportrait jonglé de Martin Palisse par David Gauchard

Aux Subs à Lyon, faute de pouvoir jouer devant du public, David Gauchard et Martin Palisse répètent inlassablement et peaufinent le spectacle né de leur collaboration, Time to tell. Reportage dans l’antre créatif d’un lieu d’expériences artistiques.
En ce 11 novembre, le ciel est gris, le temps froid, pluvieux sur la capitale des Gaules. Pour se rendre aux « Subs », véritable laboratoire artistique, il faut longer la Saône, bordée de ses hautes bâtisses ocres, roses, qui rappellent l’Italie, le sud. Pôle de création depuis 1998, le lieu a connu bien des histoires. Quartier artisanal à l’époque gallo-romaine, puis couvent pour les sœurs visitandines au XVIIe siècle, les bâtiments jaunes orangés sont investis après la Révolution par l’armée, qui s’en sert de réserves pour les vivres destinés aux soldatesques de la région. Derrière les hauts murs, on fabrique du pain, conditionne du tabac ou torréfie du café. Abandonnés en 1991, puis rénovés en 1997 sous l’ère Raymond Barre, les « subsistances militaires » sont définitivement consacrées à l’art vivant l’année d’après.
Ouvert quand même
C’est Stéphane Malfettes, directeur des lieux depuis un an maintenant, qui nous accueille. En quelques mots, il présente son projet, les « Subs », qui, tourné vers la création et la recherche artistique, a pour objectif de redynamiser l’institution, lui offrir après vingt ans d’existence, une nouvelle jeunesse. Suivant les consignes gouvernementales et ministérielles, il a décidé d’ouvrir ses portes aux artistes pour leur permettre de continuer à travailler, à préparer demain. Au Hangar, la circassienne Inbal Ben Haim, le plasticien spécialiste du papier Alexis Mérat et la scénographe Domitille Marin, réinventent l’art de la suspension, manipulent la matière, questionnent la fragilité du matériau, l’agilité du corps.
Une première singulière
Un peu plus loin, sous la verrière style Eiffel, le metteur en scène de la compagnie l’Unijambiste, David Gauchard donne ses dernières consignes à l’équipe artistique. Time to tell, sa dernière création, imaginée en collaboration avec le jongleur Martin Palisse, qui aurait dû voir le jour à l’occasion de la Nuit du Cirque 2020, va être jouée pour le première fois devant quelques privilégiés. Aboutissement autant que début d’une nouvelle aventure, cette présentation, ce filage marque une nouvelle étape de travail. En effet, des extraits vont être présentés dans le cadre de la version numérique de la manifestation circassienne.
A la Boulangerie
Sourire avenant bien qu’un brin crispé, le trac d’avant générale, David Gauchard nous invite à pénétrer dans la seconde salle des « Subs », la Boulangerie. De chaque côté d’une piste blanche ont été installés des sièges. Chacun des invités s’installent, tous à proximité de la scène. Silence, noir, une silhouette longiligne apparait. Débardeur, short, Martin Palisse darde de son regard bleu azur l’assistance. Il prend une inspiration, se concentre. Puis dans un flot quasi ininterrompu de paroles, conte sa vie, sa maladie, son désir de toujours se surpasser. Jongler est plus qu’une passion, c’est une manière de vivre, d’oublier la faiblesse de ses poumons. Il rate parfois, recommence, jamais ne perd espoir.
Au-delà des mots
Véritable introspection venant expliquer son œuvre, Time to tell est un moment suspendu, une sorte de fin de cycle pour mieux en entamer un nouveau. Nous invitant à entrer dans sa tête, Martin Palisse se met à nu, se libère d’un poids. Il habite l’espace à sa manière unique, détachée. Se mettant à distance de sa propre histoire, il livre une partition tenue, fragile, sur le fil, que le temps va peaufiner, que le travail de dramaturge, de metteur en scène de David Gauchard va ciseler. Se laissant porter par les musiques pop, jazz, éléctro, le jongleur se dépense sans compter, jusqu’à la limite de ses capacités physiques. C’est à la fois toute la beauté du geste et sa vulnérabilité.
La représentation s’achève. Les murs ont vibré, le vivant l’a emporté sur tout le reste, la maladie, la pandémie. Reste encore l’inconnu de quand le spectacle pourra être créer – février certainement – , se frotter au public, s’épanouir, mais confiant les deux artistes ont décidé, soutenus par le directeur des « Subs » et toute l’équipe, de continuer coûte que coûte, à travailler.
Souhaitons-leur le meilleur pour la suite, un bon vent pour une belle tournée.

 

Le Populaire du Centre / 1er septembre 2020 / Muriel Mingau

Un propos fort, intemporel, universel et actuel

Ensemble, le jongleur Martin Palisse et le metteur en scène David Gauchard, ont rendu ce spectacle aussi important et crucial pour le public qu’il l’est pour l’artiste en piste.
La salle Georges Méliès était comble à Nexon ce week-end. A la fin de la séance, le public était bouleversé. Il était venu assister à une étape de travail, comme toutes les formes présentées par le Sirque cet été dans Multi-Pistes. C’est un spectacle d’une heure, quasi achevé qu’il a découvert.
Des choses à dire
Martin Palisse a des choses à dire. Ceux qui suivent ce jongleur depuis un moment le savent. Cela se ressent intensément dans son art.
Mais cette fois, il a décidé de rendre le dire plus clair encore, en prenant aussi la parole en piste. Avec David Gauchard à la mise en scène, et lui en piste, il a présenté une forme entre jonglage, musique, théâtre, texte.
Elégance, pudeur, art
Cette forme dresse un portrait de l’artiste, depuis son enfance. Avec élégance, pudeur et simplicité, il raconte sa vie avec une maladie génétique rare, la mucoviscidose. Il en décrit les réalités dans le quotidien, dans les relations avec les autres. Tout cela se donne sans pathos, avec beaucoup de délicatesse et d’art.
Vivons !
Le spectateur en arrive à comprendre combien le jonglage est l’agrès idéal pour cet artiste. Cette discipline lui a ouvert en grand les portes d’une “vraie” vie.
Prenant la parole pour lui même, il prend finement la parole pour beaucoup d’autres, personnes atteintes comme lui, pas seulement de la même maladie. Les “normaux”, “en bonne santé” réfléchissent, s’interrogent, comprennent. Son propos intime rencontre l’universel.
Tous sont impressionnés par son spectacle, son art du jonglage, son engagement en piste dans une esthétique belle, précise, harmonieuse, qui transpire l’humanité.
Ce spectacle le dit : avant de mourir, vivons ! Vivons comme cet artiste vit : avec intensité. Ne nous empêchons jamais de vivre. Que nul ne nous empêche de vivre.
Cette injonction résonne plus fort encore dans le contexte actuel.
Date de tournée
132

représentations

CRÉATION

13, 14 et 15 août 2021 Multi-Pistes / Le Sirque, pôle national cirque de Nexon


 

DIFFUSION

Saison 23-24

9 et 10 septembre 2023 Festival Village de Cirque, Coopérative de Rue et de Cirque 2r2c, Paris
23 et 24 septembre 2023 Festival Jours et nuits de cirque(s), Centre International des Arts en Mouvement CIAM, Aix en Provence
13 et 14 octobre 2023 Théâtre de La Coupe d’Or, Rochefort
17 au 25 novembre 2023 Au fil du Tarn, scène nationale d’Albi Tarn
18 et 19 décembre 2023 ScènOgraph – Théâtre de l’Usine, Saint Céré 
29 et 30 décembre 2023 Circumnavigando, Festival Internazionale di Circo Teatro, Gênes (Italie)

17 et 18 janvier 2024 L’Hectare – Territoires Vendômois, Centre National de la Marionnette
25 janvier 2024 Le Petit Echo de la Mode, L’Hermine, Plouha
26 janvier 2024 Quai des Rêves, Lamballe
30 et 31 janvier 2024 Le PALC, pôle national cirque, Châlons-en-Champagne
8 et 9 février 2024 Théâtre de Cusset
12 et 13 février 2024 Centre culturel Aragon, Oyonnax
14 et 15 février 2024 Quai des Arts, Rumilly
21 mars 2024 Théâtre du Rossignolet, Loches
26 et 27 mars 2024 Les Quinconces & L’Espal, scène nationale, Le Mans
3 au 5 avril 2024 Le Grand R, scène nationale de La Roche-sur-Yon
7 mai 2024 Le TCM, Théâtre de Charleville-Mézières
14 et 15 mai 2024 L’Archipel, scène nationale de Perpignan
21 au 24 mai 2024 La Coursive, scène nationale de La Rochelle
5 au 8 juin 2024 TSQY, scène nationale de Saint Quentin en Yvelines

 

Saison 22-23

2 et 3 septembre 2022 Festival Coup de Chauffe / L’Avant-Scène, Cognac – scène conventionnée

4 octobre 2022 Le Vellein, scènes de la CAPI

9 et 10 novembre 2022 Ay-Roop, Rennes – scène de territoire cirque dans le cadre de sa saison [Nouvelles Pistes]

12 et 13 novembre 2022 La Nuit du Cirque / Le Carré Magique, Pôle national cirque à Lannion

6 et 7 décembre 2022 Le Sirque, Pôle national cirque de Nexon

9 et 10 janvier 2023 Equinoxe, scène nationale de Châteauroux

17 et 18 janvier 2023 Festival Circonova / Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper

22 et 23 février 2023 Théâtre Le Liburnia, Libourne

24 février 2023 Larural, Créon

31 mars 2023 L’Astrada, Marciac

3 et 4 avril 2023 Le Dôme Théâtre, Albertville

11 avril 2023 Festival Mythos / Théâtre du Vieux St Etienne, Rennes

13 avril 2023 Rencontre des jonglages / Maison du théâtre et de la danse, Epinay-sur-Seine

14 avril 2023 Rencontre des jonglages / Maison des jonglages, La Courneuve – scène conventionnée

21 et 22 avril 2023 Festival Prise de Cirq’ / Théâtre Mansart, Dijon

4 et 5 mai 2023 Le Moulin du Roc, scène nationale de Niort

26 et 27 mai 2023 Le Cirque-Théâtre, Pôle national cirque d’Elbeuf

6 et 7 juillet 2023 Festival MIMOS, Périgueux

 

Saison 21-22

2 octobre 2021 Le Manège, scène nationale de Maubeuge

25 au 27 octobre 2021 Festival du Cirque Actuel / CIRCa pôle national cirque, Auch

9 et 10 novembre 2021 Ma scène nationale, Montbéliard

2 et 4 décembre 2021 L’Eden, A4 – spectacle vivant en Vals de Saintonge, Saint-Jean d’Angély

13 et 14 janvier 2022 Le Prato, Théâtre International de Quartier, Pôle National Cirque de Lille

4 février 2022 Centres Culturels Municipaux de Limoges (ANNULE)

15 au 17 février 2022 Théâtre d’Orléans, scène nationale

3 et 4 mars 2022 Théâtre Jean Lurçat, scène nationale d’Aubusson

3 et 4 juin 2022 Lieu de fabrique, Cie Happés, Aigues-Vives

8 au 23 juillet 2022 (relâches les 13 et 20) à 11h55 Avignon OFF / La Manufacture – Patinoire

 

Saison 20-21

3 juillet 2021 Festival Les Fantaisies Populaires, Cenne-Monestiès / Avant-première

Propos - Martin Palisse

L’exploration du temps traverse mon œuvre depuis plusieurs années. Je souhaite à travers cette pièce révéler par le récit l’origine de ce rapport particulier que j’ai au temps tout en confrontant ce récit à ma pratique de jongleur. Je souhaite ainsi révéler comment cette origine a bien évidemment totalement façonné ma pratique.

Je suis né le 04 janvier 1981, atteint d’une maladie génétique sévère et rare, la mucoviscidose.
Il y a un trouble dans le fait d’être malade génétiquement, parce qu’on ne « tombe » pas malade mais on est programmé génétiquement différemment, et donc malade. Cela s’opère avant la naissance, au moment de l’encodage génétique. C’est un héritage. Mais c’est aussi un hasard dans la grande loterie de l’ADN. Le destin, ce mot prend alors un sens tout particulier.

Mon père dit que je n’ai jamais été petit. Le fait de naître atteint d’une maladie modifie puissamment le comportement des adultes vous entourant et donc par ricochet le vôtre. Mon rapport à la mort, à la finitude, a déterminé puissamment qui je suis et comment j’ai agi. J’ai grandi avec une sorte d’obsolescence programmée. J’ai développé une lutte, souvent souterraine, pour ne pas plier sous le poids du destin annoncé.

Actuellement, je suis entré dans une période de ma vie particulière, j’ai dépassé l’espérance de vie moyenne, qui plus est en bonne santé et à l’heure où la science vient de faire un pas en avant notable dans la prise en charge de la maladie, ce qui me donne une perspective temporelle pas vraiment anticipée. Je commence à agir sans me soucier de la finitude, comme si une sorte de course se terminait. J’ai cessé de penser à la mort quotidiennement. Je sens mon corps vieillir et non pas régresser ou s’atrophier.

Autant de perspective qui m’amène à re-questionner le rapport entre mon travail artistique et ma condition d’homme malade, handicapé.

Je souhaite à travers cette nouvelle pièce faire récit de ce parcours, énoncer mes choix, mes peurs, mes douleurs au regard de ma singularité. Ce récit je veux le mettre en scène, en parallèle d’un acte de jonglage radical, fatiguant, endurant, lent, puissant, un acte physique poussant mon souffle, ma respiration jusqu’à l’asphyxie.

L’asphyxie, le manque d’oxygène, c’est une sensation que l’on connaît très vite avec cette maladie, il y a de grande chance que la mort soit due à une sorte d’asphyxie puisque le système respiratoire s’atrophie de manière inéluctable du début à la fin.

J’ai toujours tenu pour quasi secret ma maladie, fuyant la condescendance, la complaisance, ne voulant pas être jugé ou considéré à partir de cette particularité. Je mesure néanmoins de plus en plus l’erreur de cette mise à distance permanente. Je choisi aujourd’hui de rompre avec cette posture, considérant qu’elle m’empêche désormais.

J’écris depuis de nombreuses années que « Jongler est pour moi un étirement du temps, une pratique me permettant de me projeter dans le temps sans craindre la peine de l’existence ».

A travers cette pièce je souhaite livrer le récit d’une vie, de la vie du jongleur que je suis devenu fuyant ainsi la peine de mon existence.

Il va de soi que la démarche de se raconter n’a d’intérêt que par le fait d’aborder des sujets qui me dépassent. L’ensemble de ce récit devra avoir une résonance, un écho au-delà de ma personne, il y a nécessité que mon histoire appelle à se confronter à des questions sociétales actuelles. C’est mon intention.

Dans cette perspective, il m’a paru décisif de partager fortement et dès le départ cet acte de création avec un metteur en scène, un homme de théâtre aguerri à la narration. C’est avec David Gauchard que je m’engage dans cette création.

Le mot de David Gauchard

Depuis plusieurs années, je croise régulièrement Martin Palisse dans les salles de théâtre. Souvent il vient voir mon travail. Me félicite. Et la réciproque est vraie. Si elle se présente, je ne manque pas une occasion pour suivre sa démarche. J’aime son rapport à l’image, à la musique, je me sens proche. Mais ce qui m’impressionne le plus c’est sa rigueur, sa radicalité et sa capacité à émouvoir, raconter des histoires sans aucune parole, juste quelques balles. J’avoue n’avoir jamais vraiment eu un faible pour le jonglage, mais dès POST et Slow Futur, le travail de Martin a changé mon regard sur cette discipline. Et définitivement quand j’ai découvert Il est trop tôt pour un titre lors du « sujet à vif » d’Avignon 2016. Sa collaboration avec Halory Goerger a été magique, une véritable rencontre entre deux grands artistes.

Depuis quelque temps, je pousse ma recherche loin des grands classiques, j’aborde le théâtre contemporain soit en passant des commandes d’écritures à partir d’une idée originale que je propose, soit en partant à l’aventure dans une quête de théâtre dit documentaire ou du moins du réel (L’île la réunion avec le conteur Sergio Grondin, la Corée du Sud avec le chorégraphe Sung Yong Kim ou encore chez les Inuit du Nunavik pour produire mon premier spectacle jeune public).

Ces derniers temps, à la manière d’un sociologue ou encore d’un reporter, je mène des enquêtes, micro- enregistreur à la main, je capture la parole, sa verve, sa fragilité et je travaille ensuite à mettre en scène une restitution brute, sans artifice, utilisant les principes de jeu à l’oreillette.

Martin m’appelle fin novembre, notre premier enregistrement a lieu fin décembre. J’ai embarqué.

Intentions de mise en scène - Martin Palisse

Time To Tell est une pièce à part dans mon œuvre, elle marque une rupture tout en poursuivant mon effort esthétique pour faire coexister au plateau un acte jonglistique, plastique, physique et abstrait avec une volonté théâtrale, narrative. Nous rechercherons une friction tantôt évidente tantôt distante entre le récit et la physicalité du jongleur/acteur au plateau.

La rupture se situe dans le fait de faire enfin rentrer la voix, la parole, et ainsi renforcer ma volonté de narration.

David Gauchard, lors de nos premiers échanges, m’a proposé une méthode de travail pour capter mon témoignage. Nous allons réaliser plusieurs entretiens entre nous que nous allons enregistrer. Cette matière sonore, ce témoignage, sera traité et restitué sur scène. Plusieurs pistes sont envisagées pour la restitution et il est peu probable que nous nous contentions d’une seule. Nous procéderons à un montage de ces témoignages qui d’ailleurs seront conduits avec des thèmes (le rapport physique à la maladie // le rapport psychologique // l’incidence sur le rapport aux autres // l’incidence dans le quotidien // l’incidence dans les choix de vie, les postures… etc).

Cette matière sonore aura sa propre musique intérieure qui viendra se frotter à la musique de l’acteur sur scène. La voix, le souffle seront des matières centrales du processus de travail.

Je souhaite évoluer dans un dispositif bi-frontal.
Marqué par les couloirs des hôpitaux dans lesquels j’ai déambulé régulièrement depuis petit, je vais en quelques sortes m’en inspirer pour dimensionner mon espace de jeu. Long de 8 à 10 mètres, permettant ainsi la course, large de 4m, blanc au sol, le public installé sur gradin sera disposé de part et d’autre dans la longueur, fermant ainsi l’espace. Peu d’éléments seront sur scène, je recherche un dépouillement.
Le dispositif lumineux sera lui aussi minimaliste, et permettra un travail allant de l’obscurité à la sur-exposition. Le dispositif se situera dans les deux extrémités du « couloir ».
Le couloir, c’est le lieu des tests à l’effort que je passe tous les ans à l’hôpital, c’est le lieu d’où j’ai pu apercevoir la mort attendue de patients atteints de la même maladie dans des chambres, c’est le lieu par lequel j’ai rêvé m’échapper sans me faire prendre.
Le couloir il est étroit, tout blanc et il y règne une énergie étrange et inquiétante.

Le travail musical sera un mix entre le son du plateau, la voix (enregistrée ou live) et une musique minimaliste composée à base de drones. Il sera la traduction poétique de ce que l’on peut entendre dans le couloir des services des hôpitaux.

Je veux créer les conditions d’une tension permanente, comme anxiogène, qui devra être explosée, dépassée par un acte physique puissant, libérateur, sauvage. J’ai toujours traité cette maladie avec un peu d’ironie, de dérision, de légèreté.

Depuis très jeune, je suis très attaché à la règle suivante du code des samouraïs : « Traiter les choses graves avec légèreté, et traiter les choses légères avec gravité ». Je peux dire que j’ai appliqué cette règle entre ma maladie et le jonglage. C’est dans cet entre-deux que ce situera le contre point drôle et heureux de ce récit pour partie teinté de drame.

Le travail jonglistique restera dans la lignée de mon travail, s’appuyant ainsi sur un travail à 1, 2 et 3 balles en matière de jonglage. Seulement, il sera porté par un travail de déplacement continu dans l’espace, dans une tension entre lenteur et accélération, un travail très « cardio-vasculaire », poussant ainsi mes capacités physiques dans leurs retranchements.

Biographie - Martin Palisse

Jongleur, auteur et directeur du Sirque, Pôle National Cirque de Nexon Nouvelle-Aquitaine

La découverte de la musique de phase, dite musique minimaliste, de Steve Reich et Terry Riley que lui avait fait découvrir Jérôme Thomas, est décisive dans l’orientation de son travail de composition jonglistique.

L’ensemble de l’œuvre de Martin Palisse est dès lors intimement lié à une utilisation presque radicale de la musique (qu’elle soit minimaliste, post-rock, électronique) comme support premier de son discours jonglistique : énergique, rigoureux, souvent épuré mais malgré tout très émotionnel. Son jonglage se développe ainsi sur des bases géométriques scéniques et sonores extrêmement développées et en adéquation permanente. Ces bases géométriques scéniques s’appuient sur deux actions du corps simultanées : marcher et jongler, qui recouvrent la dimension horizontale et verticale de l’espace-temps. La musique est très souvent jouée en direct lors des représentations ou performances, notamment avec le musicien Cosmic Neman avec lequel Martin Palisse collabore étroitement. Dans ses spectacles, Martin Palisse affronte les structures musicales avec sa pratique du jonglage.

Né en 1981, il n’a jamais aimé l’école et découvre le jonglage à l’âge de 17 ans, c’est une révélation pour lui et il décide de quitter l’école.
C’est avec Jérôme Thomas, son maître d’art, qu’il découvre la discipline de la jonglerie dès 2001. Grace à lui il aura également accès à l’enseignement de la jongleuse russe Nadejda Aschvits, du jongleur finlandais Maksim Komaro et du danseur Hervé Diasnas.

En 2002 il fonde avec Elsa Guérin le Cirque Bang Bang et œuvre avec elle à la création de spectacles jusqu’en 2015. Sous l’œil exercé de Phia Ménard, Ils créent Dans Quel Sens ? qu’ils joueront jusqu’en 2005, année où ils seront invités au Japon pour se produire à la Triennale Internationale d’Art Contemporain de Yokohama.

En 2006 ils entament définitivement un virage vers le Cirque en conceptualisant leur propre chapiteau dans lequel ils créeront Une Nuit sur Terre avec le musicien et compositeur Manu Deligne et la complicité de Johanny Bert à la mise en scène. Suivront deux autres pièces Body no Body (2009) et Somebody (2010).

En 2011, ils créent le spectacle POST et une digression, Blind/Action, spectacles qui marquent l’art de la jonglerie. Ils signent pour ces deux œuvres et les suivantes la mise en scène et la scénographie.

Martin Palisse devient le premier artiste nommé à la direction d’un Pôle National Cirque en janvier 2014. Dès lors son rapport temporel à la création se modifie. Il entame une réflexion sur la dualité metteur en scène/interprète dans le cirque contemporain.

Cette même année il sera invité à collaborer auprès de Jérôme Thomas pour la mise en scène du spectacle Over the Cloud, de la 26ème promotion du Centre National des Arts du Cirque. Il créera également une courte performance avec Elsa Guérin, Still life.

En 2015 il rencontre le groupe de musique français Zombie Zombie et les invite pour la création de Slow futur au festival Mettre en Scène du Théâtre National de Bretagne. En 2016, il crée avec Halory Goerger et Cosmic Neman (moitié du duo Zombie Zombie) Il est trop tôt pour un titre au Festival d’Avignon dans le cadre des Sujets à Vif ; et met en scène Hip 127 la constellation des cigognes à l’Opéra de Limoges, spectacle d’après l’œuvre jonglistique de Jérôme Thomas sur une composition originale de Roland Auzet dirigée par le chef d’orchestre Daniel Kawka.

En 2017, répondant à une commande, il met en scène et chorégraphie Entre Ciel et Terre, pièce pour quatre jongleurs sur le répertoire musical de Percu-temps de l’ensemble musical contemporain Ars Nova et accompagne Jean Lambert-Wild, metteur en scène, acteur et directeur du Théâtre de l’Union (CDN de Limoges) dans la création d’une calenture intitulée Le Clown du Rocher.

En 2019, il créé le spectacle Futuro Antico avec Cosmic Neman, mis en scène par Halory Goerger.

Le cirque, le théâtre, l'art - Martin Palisse

L’expérience de cirque ne se raconte pas, elle se vit. C’est une rencontre avec l’artiste de cirque, la dimension architecturale du cercle et les énergies qui peuvent l’habiter. Il faut savoir déconstruire le cercle pour le faire apparaître, c’est une condition paradoxale. La dramaturgie du cirque se situe dans la force nommée l’apesanteur, la gravité.

Je construis ma recherche théâtrale autour de ce que je nomme LE DRAME HUMAIN, le couple Attraction/ Répulsion. Cette nécessité de nous rapprocher autant que de nous éloigner, entre la naissance et la mort. Un mouvement perpétuel que nous observons bien au delà de nos propres existences et dont nous ne connaissons pas réellement l’origine. Néanmoins, je pense que notre capacité à nous confronter encore et toujours à ce mouvement cyclique nous informe sur notre capacité à faire société et sur notre énergie vitale et intime.

Les couples éloignement/proximité, attraction/répulsion et accélération/ralentissement, constituent le socle de la dimension dramaturgique et chorégraphiques des écritures que j’entreprends, que j’appelle motifs.

Le mariage de l’ordre et du désordre me passionne, que l’un produise ou perturbe l’autre ou que l’autre perturbe et produise l’un, ces deux notions sont évidemment intimement liées à la figure du carré et du cercle.

Il existe un couple Sacré/Jeu permettant de comprendre la vie humaine dans la mesure où le Sacré est vertical et le jeu horizontal.
Le Sacré porte en lui des valeurs, des qualités extérieures à lui-même qui supposent toujours une élévation vers le haut. Le Jeu au contraire est horizontal et trouve son sens en lui même (le but du jeu d’échec est la pratique du jeu d’échec). Le Jeu ne possède pas de valeurs mais des vertus. Le Jeu est social.

La théâtralité de ma pratique se situe très exactement dans la rencontre entre chacun de ces deux actes que sont jongler et marcher. C’est ici pour moi le point zéro, où tout commence puisque j’explore ainsi l’espace dans ces deux dimensions, horizontale et verticale, sacrée et sociale.

Mon travail ne délivre aucun message, le sens de l’œuvre c’est le spectateur qui le possède.
Je m’affilie en cela totalement au courant de l’art créé pour ne rien dire, courant initié entre autres par des figures historiques telles que Dada, de Stijl, le Bauhaus et les Russes.

Ce minimalisme sensible trouve son origine dans l’observation d’un large spectre de phénomènes naturels, mécaniques, numériques et sociétaux.

Il faut croire au fait que le spectateur est capable de faire son propre chemin et de créer sa propre pensée. Il faut lui donner la place et se retirer en tant qu’artiste. Le plateau définitif est le cerveau du spectateur. L’abandonner est le seul vrai cadeau qu’on puisse lui faire. Toute l’histoire de l’art tourne autour de cet abandon.
Il y a quelque chose de perdu.

Chaque spectacle est un objet qu’on lance le plus loin possible. Quand on lance, on éloigne le risque de manipulation. La manipulation, c’est de la communication. Le cirque et l’art en général ne communiquent rien du tout. Il n’y a pas de message, il n’y a pas de bonne nouvelle. La publicité a le devoir de construire le désir, la religion a parfois le devoir de construire la peur, l’art n’a aucun devoir. Il s’agit de réveiller notre capacité à regarder à nouveau, de réveiller le regard.

Le cirque, le théâtre, l’art sont des interrupteurs qui cassent la communication et allument le fait d’être vivant. « Regardez, écoutez, c’est nouveau »

C’est pour ça que je respecte la solitude, la capacité de chaque spectateur de regarder, d’être par conséquent responsable de son propre regard.

Le temps est notre matière, notre plastique. C’est intéressant d’en élargir la fibre pour voir si quelque chose peut passer au travers. Savoir jouer avec l’ennui.
Exposer les spectateurs sur la longueur à des gestes, des paroles, des sons, des visages, c’est une manière de jouer avec leurs sensations. Je ne crois pas en une forme d’art cultivé. Il y a plusieurs niveaux, et le premier avec lequel il faut jouer, est élémentaire, mammifère : c’est la sensation d’avoir un corps chaud. Il faut partir de là. Après seulement il y a la pensée.

Un théâtre par l’abstraction.

Toutes séquences abstraites qui rythment un spectacle sont des surfaces qui reflètent les visages, les corps, l’histoire, les ventres, la mémoire, les cicatrices du spectateur. Elles ne sont pas codées, encore à coder ou à décoder. Elles ne sont jamais expliquées et jamais illustratives. C’est encore une façon de faire entrer le spectateur dans le spectacle. C’est peut-être un piège, mais c’est un appel, un appel avec ton nom parce que tu as l’impression que quelque chose te regarde.

Une scène abstraite n’est pas une structure logique. Pourtant c’est toujours dans le domaine de la pensée, dans la mémoire génétique, quelque chose qui appartient à l’espèce humaine.

Le cirque d’art advient par sa capacité à convoquer le théâtre et l’abstraction. Chacune des « pratiques » de cirque contient une théâtralité du sacré et nous devons abandonner la notion d’exploit parce qu’elle n’est que la pauvreté de notre ego. Nous devons chercher à atteindre l’abstraction de nos pratiques respectives. C’est le seul chemin vers l’émancipation.

Notes sur ma pratique - Martin Palisse

J’appréhende mon travail de jongleur dans le courant historique de l’art abstrait et de l’art cinétique : une esthétique où prime le « less is more », un mouvement progressiste.

J’adosse ma recherche à la construction de systèmes simples, évidents et de préférence absurdes.

L’ensemble de ce travail s’appuie sur des systèmes basés sur un univers mathématique simple.

Ces systèmes sont composés et prennent forme par des motifs gestuels et rythmiques.

Jongler (par extension = déplacer des objets en organisant leur déplacement dans l’espace), activité savante inscrite dans la dimension verticale.
Marcher (par extension = se déplacer), activité naturelle inscrite dans la dimension horizontale. Jongler et marcher fondent le mouvement des motifs gestuels et rythmiques que je m’attache à créer et chorégraphier. Simples et archaïques, ces motifs fonctionnent indépendamment ou ensemble et marquent l’espace de façon linéaire ou fractionnée.

L’association de ces deux activités dans leur dimension respective constitue la forme physique de ma pratique que je considère comme une architecture éphémère.

Je m’intéresse aux rapports entre les lignes qui se tracent dans l’espace par l’exécution des motifs, cherchant ainsi à travers l’écriture à construire l’espace de façon à faire de l’homme la matière première des architectures à considérer. Je suis intrigué par la modification des motifs selon si je les inscris dans un espace où le déplacement suit soit des lignes soit des courbes.

Les rapports de neutralité à l’espace sont essentiels dans ma démarche.

J’inscris toujours ma pratique et par conséquent les motifs dans un cercle ou dans un carré, deux figures géométriquement neutres.
Alors que je m’inscris à contre-courant du triste dogme de la surenchère technique du cirque, j’écris le jonglage avec un vocabulaire aussi simple que possible, souhaitant faire renaître l’acte initial et sacré du jonglage à travers la seule pratique de ces fondements ancestraux. C’est ici le point de départ de mon intention de travailler au seul phénomène de l’apparition.

Faire apparaître le jonglage, son acte et non sa démonstration, dans son plus simple appareil.

Pour cela, trois règles fondamentales et récurrentes composent tous les motifs :
-le jongleur opère uniquement avec des balles (cercle) ou un bâton (ligne droite), symbole le plus neutre possible géométriquement

-le jongleur n’échange pas ses balles, les balles devenant ainsi un réel prolongement du corps
-le jongleur ne possède pas plus de trois balles, « parce que plus de trois c’est vulgaire »

Si dans ma pratique je recherche à modérer ma subjectivité, lors de l’acte créatif je m’attache à transcender ce que je suis. De mon point de vue, la seule performance pouvant encore porter du sens au sein d’un cercle, c’est l’abandon de soi-même. Pour cela, j’aime concevoir avant tout l’espace dans lequel se déroule cet abandon, construire l’image, et ensuite trouver la transcendance qui incarnera l’image. Mettre en scène son corps érodé par la pratique.

Reportage France 3 Occitanie - Festival CIRCA 2021
Le film (english subtitles available)

Une chance sur 4