L’unijambiste marche vers l’avenir

Théâtre(s) Magazine, automne 2018

Texte Nadja Pobel

 

 

Depuis près de 20 ans le metteur en scène David Gauchard mène la compagnie L’unijambiste au plus près de l’Homme contre la meute.

Enfant, David Gauchard ne rêvait que de foot au point d’intégrer un sport étude en la matière à Saint-Valéry-en-Caux. Mais il n’y restera qu’un mois. La passion du ballon rond ne s’évanouit pas mais « je ne me sentais pas à l’aise dans cette communauté » dit-il aujourd’hui. Retour au lycée classique pour un bac scientifique mais un prof lui donnera le goût du théâtre et ainsi que ces parents qui s’essayent, le week-end, à reproduire des sketches de Coluche ou Le Luron face caméra, objet encore peu démocratisé. Sans avoir cherché à y entrer, David Gauchard se retrouve à Cannes, à l’ERAC (1996-99) où un copain de qui il fait la doublure l’a inscrit à l’audition pour paraître deux fois devant le jury. Embarqué dans cette école, il comprend vite que ce qui l’amuse sont « les petits chantiers tous les trimestres où (il) donne une Mademoiselle Julie en 7 minutes ».

La Rue Blanche n’est pas encore l’ENSATT avec sa kyrielle de départements. Pour devenir metteur en scène, il trouve une autre voie : l’Académie Théâtrale de l’Union à Limoges où l’artiste/directeur Silviu Purcarete le laisse « faire des bêtises ». Ce théâtre ouvert lui permet de travailler la nuit à la servante, d’approfondir Strindberg et se lancer dans Shakespeare après un petit concours interne pour une tournée en Limousin, territoire où est toujours implanté sa compagnie.
Un CDN à l’appui, le voici sur le sentier des subventions et de la professionnalisation. En 1999, la création de L’unijambiste marque la structuration de cette aventure. Pourquoi ce nom ? Cela renvoie à un accident qui le laisse boiteux à vie.

 

Compagnonnage

 

Un autre auteur va lester cette compagnie naissante : Léonid Andréiev. Quand David Gauchard découvre à l’ERAC ce contemporain de Tchekov dans une traduction d’Abbes Zahmani, il croit tenir entre ses mains un texte inconnu. Or André Markowicz en propose justement une lecture dans sa propre traduction à Bethune. Les deux hommes se rencontrent et deviennent alors amis. Ce compagnonnage au long cours, alors que l’homme de lettres n’est pas encore l’icône absolue de la traduction en France, mène David Gauchard sur les traces d’Hamlet et peut-être dans les années qui viennent de Macbeth. Ils y réfléchissent ensemble. « J’ai envie d’aller dans le lard de ce texte ».

C’est aussi comme ça que le metteur en scène s’attaque en 2009 à Richard III avec un seul comédien, Vincent Mourlon, compagnon de l’ERAC, et pléthore de personnage en vidéo. Se mêlent le talent brut de l’acteur, le travail des images et celui de la musique inhérente à ses créations comme chez David Harrower, Ibsen…

Ces dernières années, il est plus question d’écritures de plateau et de fables contemporaines comme en témoigne sa seule incursion à ce jour dans le champs du jeune public avec le très sensible Inuk(ᐃᓄᒃ), restitution d’un voyage au Nunavik, en terres inuit. Jamais didactique et encore moins moralisateur, ce spectacle pointe cependant les conséquences désastreuses de l’action humaine sur la nature via des astuces scénographiques qui donnent à ressentir (la glace qui craque sous les pieds) plus qu’à écouter. Cette économie-ci de mots est encore une des caractéristiques de sa prochaine création Le temps est la rivière où je m’en vais pêcher, d’après Henry David Thoreau, auquel Samuel Gallet a prêté sa prose.
« Je souhaite faire un travail de passation, m’adresser à la génération suivante » dit-il très concerné aussi par la question de la parité homme-femme et de genre au coeur du festival d’Avignon cette année « même si je suis un homme, blanc, français, hétéro ». Tout est question de place comme celle potentiellement d’une direction de lieu pour se sédentariser et parce que tous les métiers du théâtre l’intéressent.
Cet admirateur de Tiago Rodrigues, « pour la douceur et la sobriété » est associé désormais aux scènes de Saint Quentin en Yvelines, Quimper et, pour cette saison, à celles du Jura.

Constamment en tournée, il a trouvé le temps de signer ce printemps sa deuxième mise en scène d’Opéra. L’Odyssée (livret Marion Aubert) à Compiègne, bientôt repris à Lille, et ce bijou qu’est Le fils, une commande passée à Marine Bachelot Nguyen et qui fut un des grands succès d’Avignon Off 2017, Emmanuelle Hiron interprétant une mère radicalisée via le catholicisme et la Manif pour tous. Par ailleurs porteuse de Les Résidents, elle, comme Nicolas Petisoff, comédien qui s’essaye à l’écriture avec sa propre histoire d’enfant né sous X (Parpaing), enrichissent la vie de cette compagnie qui fêtera ses 20 ans en juin prochain.

 

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Musique !

 

C’est une composante majeure du travail de la compagnie : la musique originale signée par Olivier Mellano (fidèle de Dominique A), Robert le Magnifique ou encore Arm (feu le groupe hip-hop Psykick Lyrikah) est indissociable du plateau et désormais éditée (disponible après les spectacles, sur le site de L’unijambiste, voire dans les bacs des disquaires).
« Ca nous a valu plus d’articles en pages musique des Inrocks qu’en pages théâtre ! » en rit David Gauchard